La
dcentralisation contre le libralisme.
par Roland Hureaux, paru dans "Le Débat", mars 2003
Peu de dbats apparaissent en France aussi biaiss par des strotypes dÕun autre ge que celui de la dcentralisation.
LŌeffet principal de la Rvolution franaise aura t moins de nous laisser un hritage centraliste , dit jacobin, que dÕenfermer la question de lÕquilibre des pouvoirs entre le centre et la priphrie dans des schmas simplistes, largement obsoltes aujourdÕhui et qui paralysent la rflexion.
Le principal de ces schmas, qui eut sans doute quelque pertinence au XIXe sicle mais qui il nÕen reste plus gure , est celui dÕ un modle dÕEtat centralis , destructeur des corps intermdiaires , dont on somme de manire incantatoire nos concitoyens de se dbarrasser tout en laissant supposer quÕil sÕagit l dÕun vice national ingurissable. Mme si Tocqueville nous a appris que le centralisme rvolutionnaire ne faisait quÕachever celui de lÕAncien rgime, et si cÕest dÕabord Napolon Bonaparte que nous devons nos institutions centralises ( les hommes de 1793 nÕayant fait que grer , leur manire , odieuse, une situation dÕurgence) , cet Etat est communment qualifi de jacobin .
En face, est pos le modle antithtique , toujours rv mais jamais atteint , dÕun Etat libral , dcentralis , et mme fdral , se rfrant tantt lÕhritage dit girondin , tantt aux communauts organiques , provinciales et corporatives , dÕAncien rgime dont Maurras - qui nÕavait rien dÕun libral - a fait lÕapologie. Les deux courants, trs diffrents lÕorigine, le girondin et le maurrassien, ont conflu au milieu du XXe sicle dans une pense dmocrate-chrtienne la fois organiciste et dcentralisatrice dont lÕinfluence survit au dclin des religions . Pour les tenants de cette philosophie, le principe de subsidiarit (que pourtant aucun pontife nÕa jamais proclam ex-cathedra (1) ) semble tre tenu pour un dogme aussi capital que la Trinit ! La pense catholique a pous dÕautant plus volontiers la dcentralisation que lÕEglise de France avait au cours du XIXe sicle , en haine du jacobinisme , fait cause commune avec les rgionalismes basque, breton ou occitan ( alors mme quÕ lÕpoque de la Contre-Rforme, le clerg tendait plutt franciser les paysans, comme le feront plus tard les Ē hussards noirs Č de la Rpublique ). Quand le gnral de Gaulle proposa en 1969 de dcentraliser , on y vit juste titre un retour son inspiration de jeunesse, catholique et monarchiste . Mais le rayonnement de cette philosophie alla encore plus loin. Le dogme de la subsidiarit Š htivement identifi la dcentralisation et au rgionalisme Š trouva partir de 1981 un terrain dÕatterrissage imprvu au parti socialiste , grce Franois Mitterrand et Jacques Delors , au moment o la Ē deuxime gauche Č issue des milieux catholiques post-conciliaires plus ou moins dchristianiss , venait renforcer les rangs clairsems de la vieille gauche lacarde et tatiste. Comme aurait dit Nietzsche , on ne croit plus en Dieu mais on croit encore aux conseils rgionaux ! JusquÕ faire douter que Richelieu et Colbert aient t de bons chrtiens.
La subsidiarit fut mme , comme notre bl, exporte en Europe , allant jusquÕ tre inscrite Š et mme dfinie - dans le trait de Maastricht (2) . LÕEurope offrait, il est vrai, une sorte dÕ Ē alliance de revers Č ceux qui espraient , grce elle , prendre leur revanche dÕun coup sur Robespierre, Jules Ferry et Emile Combes. Etre libral , cÕtait la fois tre pour les pouvoirs locaux, pour le pouvoir supranational europen, pour le modle anglo-saxon (que tout cela soit ou non compatible est une autre question) , pour tout ce quÕon voudra pourvu quÕon fut contre lÕEtat rpublicain impie et guillotineur .
Au terme de cette vision , une dmonologie, dnonant le centralisme comme la source unique du Ē mal franais Č (3) .
Un centralisme bien
tempr
Si nous pensons nanmoins quÕune telle vision est obsolte , cÕest que beaucoup dÕeau a coul sous les fentres du prfet de la Seine depuis le Consulat et quÕon ne saurait perdre de vue tout ce qui , en deux sicles , est venu temprer , voire inverser le modle institu lÕpoque de la Rvolution et de lÕEmpire . Un des effets de ce renversement est la restauration dÕ un corporatisme de droit ou de fait unique dans le monde occidental ( en dehors de lÕAllemagne) . Ce corporatisme se marque par exemple au poids institutionnel et financier des chambres consulaires , finances par des prlvements obligatoires , sans quivalent dans le monde anglo-saxon (o Chamber of Commerce signifie seulement un syndicat patronal auquel lÕadhsion est facultative ) , au poids disciplinaire des ordres professionnels, la gestion paritaire des caisses de Scurit sociale ( tatises au Royaume-Uni , prives au Etats-Unis) , la Ē cogestion Č de fait, pour le meilleur et pour le pire, de grands ministres comme lÕAgriculture ou lÕEducation nationale ou encore la prolifration invraisemblable des associations de la loi de 1901 de tout poil . Nous voil bien aux antipodes de la loi Le Chapelier et du prtendu anticorporatisme franais !
NÕoublions pas non plus les tudes dj anciennes , mais toujours valables, de Catherine Grmillon et Jean-Paul Weber (4) sur lÕadministration prfectorale , fleuron du centralisme franais, qui ont montr combien le suppos Etat rationalisateur composait , dans les faits, depuis toujours , avec des ralits locales trs diverses . Le reprsentant de lÕEtat dans les dpartements est dÕautant plus respectueux des notables locaux que, tranger au terroir , et se sentant quelque part illgitime, il a dÕabord le souci dÕtre admis parmi eux . En outre , le pouvoir central attendant de lui dÕabord, sauf exceptions, quÕil ne fasse pas de vagues , le meilleur moyen dÕy arriver est de troubler le moins possible le jeu local.
Autre temprament , souvent mconnu, au prtendu centralisme franais : le trop dcri cumul des mandats . Que psent les injonctions du pouvoir parisien quand le prsident du conseil rgional est un ancien chef de lÕEtat , quand le maire dÕune grande ville est un premier ministre en exercice , un ancien premier ministre, un ministre ou ancien ministre important ? L o le maire de Toulouse a quand il le veut le premier ministre au tlphone , le prfet de la rgion Midi-Pyrnes aura plus de mal . Il y a les grands fodaux, il y a aussi les petits barons , qui sÕappuyant la fois sur leur lgitimit lectorale locale et sur un mandat parlementaire, sont gnralement lÕobjet de grands gards de la part de fonctionnaires de lÕEtat qui savent que ces lus peuvent faire ou dfaire leur carrire, quand ils nÕont pas, par des rseaux divers, phagocyt les chelons locaux de lÕEtat. Quel contraste avec le Royaume-Uni o les hommes politiques de haut vol briguent directement un sige parlementaire, incompatible avec les mandats locaux , rservant ceux-ci aux Ē seconds couteaux Č de leur parti ! Mme si les collectivits dÕoutre-Manche ont (ou ont eu ) juridiquement plus de pouvoirs, elles psent , de fait, beaucoup moins que les ntres. Avec raison, on dit que le Snat est le Ē grand conseil des communes de France Č . Mais , malgr les limitations rcentes apportes au cumul des mandats, cÕest le Parlement franais tout entier qui est compos des ambassadeurs des collectivits locales, la plupart avouant accorder la priorit leurs mandats locaux, le mandat national ne leur servant quÕ faciliter le lobbying pour leur ville ou pour leur dpartement..
Paradoxalement , les lois Defferre ont contribu durcir la prsence locale de lÕEtat . La thorie du ministre de lÕintrieur est depuis 15 ans : Ē vous ( les prfets) ne vous occupez dsormais plus de tout ; contentez vous de dfendre les intrts de lÕEtat Č. Or que sont les intrts de lÕEtat ? Pour beaucoup de fonctionnaires , il sÕagit essentiellement de lÕapplication des lois. CÕest un peu court : le prfet napolonien , bien intgr aux lites locales, pour qui les intrts de lÕEtat nÕtaient rien d Ōautre que lÕintrt gnral de son dpartement, sÕattachait appliquer ces lois avec discernement , la temprer au besoin quand , sur le terrain, elles allaient lÕencontre du bon sens ; le prfet moderne , au contraire , beaucoup moins intgr au tissu local ( ne serait-ce quÕen raison dÕune rotation plus rapide) et ne se sentant plus au mme degr comptable de cette fonction de synthse quÕest la poursuite de lÕintrt gnral , puisquÕil est suppos nÕtre quÕun partenaire parmi dÕautres du jeu local , campe trop souvent Š ou laisse ses services camper Š de manire intransigeante sur la loi. Cette volution concidant avec le durcissement des lgislations nationales ou europennes en matire dÕenvironnement, dÕurbanisme ou de normes alimentaires , lÕimpression gnrale la base est aujourdÕhui que lÕEtat est plus dur quÕil nÕtait, quÕ Ē on ne peut plus discuter Č etc. Effet paradoxal dÕune rforme qui visait rapprocher les pouvoirs du citoyen.
Le schma de pense voqu au dpart de notre propos , qui proclame la prennit de lÕEtat bonapartiste, ne se contente donc pas dÕocculter les complexits de lÕvolution historique et sociologique de notre pays depuis deux sicles, il fait aussi obstacle une prise en compte des vrais problmes que posent aujourdÕhui les relations entre le centre et la priphrie.
A mauvais diagnostic, mauvais remde. Ceux qui veulent insuffler du libralisme dans les institutions franaises en les dcentralisant vont contre-sens. CÕest lÕeffet inverse quÕils atteindront : une sphre publique toujours plus coteuse, touffue , engorge, artificielle. La dcentralisation ne peut jouer , dans la France dÕaujourdÕhui , que contre libralisme. Nous voudrions le montrer sous le triple rapport du poids de la sphre publique , de la construction europenne et de la relation lÕhritage historique .
Dcentralisation et
prlvements obligatoires
Pour tout vrai libral , il est un problme autrement plus grave que la permanence suppose du centralisme , et distinct de celui-ci, cÕest le poids de la sphre publique . Avec 45 % du PIB ( 2001) prlev chaque anne par lÕEtat, les collectivits locales et les caisses de scurit sociale, la France se trouve un niveau record parmi les grands pays europens. Compte tenu des dficits et des ressources non fiscales des collectivits publiques, les dpenses publiques sÕlvent mme 52,7 % de la PIB (2001). Ces niveaux effarants constituent une menace pour le dynamisme conomique de notre pays (5) . Ils alimentent un profond malaise dans toutes les catgories sociales ( et pas seulement les plus aises). Ils permettent , par le biais de la dpense publique , un clientlisme politique tous les chelons, qui constitue un obstacle au libre jeu dmocratique . Une partie de ces dpenses ( notamment les dpenses sociales) ne faisant lÕobjet que dÕ un contrle politique trs lointain et nÕtant pas soumises la loi du march , ptissent dÕune faible rgulation , ce qui explique dÕailleurs leur tendance continue lÕexpansion . Au total, une telle situation constitue une offense la philosophie librale base sur lÕautonomie de lÕindividu et des familles et au refus du tout-Etat (ou tout-collectif) .
Tout cela est bien connu . Ce qui lÕest moins , cÕest la contribution de la dcentralisation cette situation. Les lois Defferre de 1983 , qui ont considrablement accru lÕautonomie des rgions, des dpartements et des communes , se sont traduites par le recrutement dÕenviron un demi-million de fonctionnaires locaux supplmentaires (sans que bien sr il y ait eu en parallle une rduction des effectifs de lÕEtat ) et un alourdissement dÕenviron 2,4 % des prlvements obligatoires.
De 1978 2001 , alors que les dpenses de lÕEtat ont t contenues par rapport au PIB (1978 : 22, 1 % ; 2001 : 22,5 %, soit + 0,4 % , aprs avoir atteint il est vrai 25,7 % en 1985 ) celles de la Scurit sociale sont passes, pour des raisons dmographiques bien connues , de 18,9 % 24 % ( soit + 5,1 %) et celles des collectivits locales de 7,6 % 10 % (soit + 2,4 %) (6). Si on ne considre que les prlvements, les impts locaux ont volu de 3,1 % 5,1 % du PNB entre 1978 et 2001 ( aprs un pic 5,7 % entre 1996 et 1998) . Les dpenses locales qui ne sont pas finances par lÕimpt le sont par des dotations et subventions de lÕEtat.
Ces chiffres nÕmouvront pas ceux pour qui la dcentralisation est une tendance gnrale lourde , un fait irrversible . Les mmes considrent gnralement que la hausse des prlvements lÕest aussi . On ne sera donc pas surpris que le seul pays qui ait connu une rduction significative du taux des prlvements au cours des dernires annes , lÕAngleterre de Margaret Thatcher , soit aussi le seul grand pays qui ait , lÕencontre du mouvement gnral, non point dcentralis mais recentralis et cela , de manire froce (7) . Un des aspects de cette recentralisation fut lÕencadrement strict des dpenses locales . Cela ne se fit point par philosophie jacobine mais pour desserrer , dans la plus pure logique librale (dÕaucuns diront ultra-librale), le carcan des prlvements publics qui pesait sur les particuliers.
Le lien entre hausse des prlvements obligatoires et dcentralisation est double sens . CÕest lÕextension continue de la sphre publique laquelle on assiste depuis un sicle et demi qui a rendu ncessaire , dÕabord la dconcentration , puis la dcentralisation . CÕest parce que les prfets craquaient sous les charges de plus en plus nombreuses qui sÕaccumulaient sur leur tte que la loi Defferre tait , toute philosophie mise part, ncessaire. LÕextension de la sphre publique se poursuivant, malgr le vent libral qui souffle sur lÕOccident depuis vingt ans, la dcentralisation est toujours lÕordre du jour.
Mais, la promotion de centres de dcisions autonomes dcentraliss , tend dvelopper elle aussi , en retour, la dpense publique , comme en tmoigne le fait que la fiscalit locale se soit alourdie de manire continue depuis trente ans , sans que la fiscalit dÕEtat ait diminu de manire corrlative. Il nÕy a pas notre connaissance dÕexemple dans le monde de pays qui ait dcentralis ses institutions tout en diminuant les prlvements publics.
QuÕil y ait un lien direct entre le poids de la sphre publique et la dmultiplication de ses ples (cela vaut aussi bien pour la cration dÕun supercentre europen , qui constitue lui aussi un ple supplmentaire), la rduction de ce poids et la simplification du paysage public, est au demeurant assez logique . Il est tonnant que cette corrlation vidente pour un libral britannique et que lÕon pourrait qualifier dÕarithmtique ( plusieurs collectivits cotent plus cher quÕune seule ) soit aussi peu perue en France . Des libraux sincres hostiles au matraquage fiscal croient trouver une solution dans la dcentralisation . Nul ne sÕy avise que la dcentralisation a un cot et que peut tre elle pourrait sÕavrer un luxe dangereux dans un pays o les prlvements atteignent les 45 % du PIB !
LÕeffet inflationniste de la dcentralisation est accentu en France, du fait du mode particulier de financement des dpenses publiques locales. Pour viter que la dcentralisation nÕincite la dpense , on peut imaginer deux systmes : le premier, en usage en Allemagne : les ressources des collectivits sont dcides Š et par l plafonnes Š lÕchelon central ; lÕautre en vigueur aux Etats-Unis : les collectivits locales sÕautofinancent presque intgralement : chaque citoyen sait donc ce que lui cotent les investissements locaux . Le systme franais, mixte , cumule les inconvnients des deux : une large partie des dpenses locales sont finances par lÕEtat ou dÕautres collectivits , sous la forme de dotations ou de subventions . Mais les collectivits locales ont aussi le loisir dÕaugmenter leurs propres impts . Ceux-ci, collects par les agents de lÕEtat, sont noys dans la masse additionne des impts de toutes les collectivits locales Š assis sur les mmes bases - et encore , beaucoup de citoyens peu clairs, ne les distinguent-ils pas des impts dÕEtat , imputant au gouvernement la hausse continue des prlvements locaux ! Le rsultat : un lu local a toujours intrt dpenser : cela lui assure une reconnaissance politique suprieure la pnalit que pourrait lui infliger une hausse des impts noye parmi dÕautres prlvements (8) .
Que lÕacte dmocratique fondamental que constitue le consentement lÕimpt se trouve ainsi brouill tmoigne lui seul du vice de notre dmocratie locale .
On dira que la hausse des impts locaux rsulte de la forte demande de biens collectifs. Cette demande existe mais le propre de la gestion dÕun budget nÕest-il pas de faire des choix afin dÕarbitrer entre le souhaitable et le possible ?
On met juste titre au crdit de la dcentralisation dcide en 1983 le fait que les lyces, dont lÕimmobilier a t transfr de lÕEtat aux rgions, sont dsormais mieux entretenus ou que les casernes de pompiers Š service dpartemental Š sont mieux outilles que celles de gendarmerie Š service dÕEtat . On peut certes considrer que les choix effectus au niveau local sont plus judicieux , plus proches des besoins des gens , mais la cause principale de cette amlioration du service est la plus grande latitude quÕont les collectivits locales pour accrotre la dpense .
La propension la dpense des collectivits locales se trouve aggrave par les mcanismes dit contractuels instaurs par lÕEtat partir de 1984, lÕinitiative de Michel Rocard alors ministre du Plan, afin de coordonner les programmes dÕinvestissements de lÕEtat avec ceux des autres niveaux dÕadministration. Pour ne pas manquer le train des subventions, arrtes tous les cinq ans, les lus locaux se trouvent somms de produire, au dpart du contrat de plan, des programmes dÕinvestissements lourds , plus ou moins judicieux, quÕils doivent ensuite raliser. Ultime avatar des plans quinquennaux instaurs en 1945 ( lÕimitation du modle sovitique), les contrats de plan la franaise rythment les investissements des collectivits locales !
DÕune faon gnrale, plus une collectivit dpense, plus elle reoit de subventions de lÕEtat ou dÕautres collectivits , y compris lÕUnion europenne, quoi sÕajoutent , dans le calcul des dotations, des rgimes de prime lÕ Ē effort fiscal Č , manifestement obsoltes , que personne nÕa encore pens supprimer.
Enfin comment ne pas rappeler que la classe dirigeante peroit mal ces mcanismes , qui ne touchent Paris et la rgion parisienne que de manire amortie du fait dÕune forte concentration des bases fiscales dans cette rgion qui permet une fiscalit locale plus lgre , du fait aussi que lÕimpt le plus sensible aux riches, lÕimpt sur le revenu, est un impt dÕEtat , alors que les finances locales sont alimentes par des impts qui touchent proportionnellement plus les classes populaires : la taxe dÕhabitation et le taxe sur le foncier bti ?
Les considrations qui prcdent sont essentiellement financires . Mais pour mesurer pleinement les effets pervers de la dcentralisation , il faut aussi prendre en compte le risque que fait peser sur la dmocratie locale un systme qui permet aux responsables dÕexcutifs locaux de dpenser sans vritable contrle sur le niveau de leurs impositions. Cette situation alimente un systme clientliste o les dpenses servent trop souvent maintenir une emprise politique : il est significatif que lÕalternance joue beaucoup moins souvent au niveau local quÕau niveau national : et les lus qui la subissent lÕ ont en gnral cherch ! SÕagissant des subventions dÕune personne morale de droit public une autre, alors que lÕEtat a largement globalis les siennes, les rgions et les dpartements continuent les distribuer au coup par coup aux communes . L aussi le clientlisme joue plein : a-t-on jamais vu un prsident de conseil gnral chouer aux lections snatoriales ?
Le libralisme nÕa pas une signification univoque : la libert des uns ne se dveloppe quÕau dtriment de celle des autres . Il est douteux que les liberts locales , qui ne devraient se dvelopper quÕau dpens des pouvoirs de lÕEtat , puissent en France tre largies sans toucher celles des personnes prives, individus, familles, entreprises. Il convient en tous cas de bien toucher du doigt que la baisse des impts et la dcentralisation ne sont pas ncessairement des objectifs compatibles.
Dcentralisation et
fdralisme
Un autre sujet gnralement mal explor est celui des rapports entre la dcentralisation et le fdralisme, notamment europen.
Dans la conception franaise, tout ce qui se traduit par un transfert de pouvoirs du centre vers la priphrie , quÕimporte comment, va dans le sens du fdralisme , national ou europen et se trouve par l htivement assimil au libralisme.
L aussi , il est un fait dont nos lites politiques nÕont pas encore une nette conscience : cÕest quÕon ne peut tre la fois pour une Europe fdrale et pour une France fdrale et quÕentre les deux , il faut choisir .
Cela parce que le fdralisme suppose un chelon local dominant , qui ne saurait tre que le second aprs le pouvoir central. En Allemagne, cÕest le land, en Suisse, le canton . A lÕencontre du principe franais selon lequel Ē aucune collectivit locale nÕexerce de tutelle sur une autre Č , dans les deux pays prcits, au contraire , le land et le canton exercent une forte emprise sur les collectivits de rang infrieur : ce sont eux qui assurent en particulier ce quÕautrefois on appelait la tutelle et quÕaujourdÕhui on appelle le contrle de lgalit sur les communes.
De ce fait les communes allemandes ont moins de libert que les communes franaises. Ces dernires ne rpondent que devant une tutelle tatique lointaine . Les communes allemandes sont soumises, elles, , en particulier en matire dÕurbanisme, au contrle troit du land. On ne le sait pas assez chez nous : les lnder sont trs centraliss et lÕAllemagne fdrale est largement une juxtaposition de petites Prusses !
Une consquence de ce principe : dans un vritable Etat fdral , les relations directes entre le niveau 1 (lÕEtat central) et les niveaux 3 ou 4 (dpartements et communes) sont interdites ou en tous les cas exceptionnelles , alors quÕen France , elles sont pratique courante.
On peut tenir pour normal quÕil en soit ainsi dans notre pays . En effet, malgr les importants transferts de comptence et lÕallgement des tutelles intervenus au cours des dernires annes , la France nÕest pas un Etat fdral , prcisment en raison de la dispersion du pouvoir local , qui fait que lÕEtat Š ou son reprsentant local Š , mme moins arm financirement quÕautrefois, demeure en position d Ōarbitrage.
La faiblesse des rgions franaises par rapport aux Lnder ou aux provinces espagnoles tient en effet moins au poids de lÕEtat central quÕ la perte de substance financire quÕimplique la persistance en dessous dÕelles dÕune structure dpartementale. Le budget de la rgion Lorraine parat faible (par tte dÕhabitant) si on le compare celui du land de Rhnanie-Palatinat ; mais la Lorraine supporte mieux la comparaison si on ajoute au budget rgional ceux des quatre dpartements qui la composent .
Ce qui est normal en France lÕest cependant moins en Europe o, de manire tout fait curieuse, ce sont les tenants du fdralisme ( commencer par la Commission europenne elle-mme ) qui promeuvent avec le plus dÕardeur les relations directes entre Bruxelles (niveau 1) et les rgions (niveau 3) !
CÕest la thorie de lÕ Ē Europe des rgions Č. Pourtant ces relations directes entre Bruxelles et les rgions franaises ou trangres , telles quÕelles se dveloppent, tant lÕinitiative de la Commission europenne que des rgions elles-mmes , dont certaines ont tabli de vritables Ē ambassades Č Bruxelles, seraient impensables dans une fdration de type classique .
LÕUnion europenne , dira-t-on, nÕest pas une fdration classique . Certes mais alors quÕest-elle ?
On ne saurait rpondre cette question sans examiner les diffrents critres qui rgissent le rapport du centre et de la priphrie.
Le premier est financier . Si le budget de lÕEtat est encore en France plus important que ceux des collectivits locales , tous niveaux confondus, la majorit des investissements civils sont dcentraliss ( et cÕest dÕailleurs dans ce domaine que portent les principaux projets actuels de nouveaux transferts de comptence : routes nationales, ports et aroports , hpitaux ) . Cela paratra peu de chose. Mais le droit de dcider des investissements constitue aujourdÕhui la prrogative la fois la plus discrtionnaire et celle qui conditionne le plus lÕavenir ; elle est pour un lu, la partie cratrice, la part Ē divine Č de son activit , celle , qui , de lÕavis commun , lui donne le plus de satisfactions. Certains pays (lÕAngleterre elle-mme o pourtant les collectivits locales ont beaucoup moins de libert) affichent des taux de dcentralisation financire beaucoup plus levs que la France ; mais la diffrence provient principalement des salaires des policiers ou des enseignants pris en charge lÕchelon local. On pourrait faire la mme chose en France. Mais ce genre de prrogative, rigoureusement encadre par le niveau central et les rgles statutaires , offre en fait peu de latitude au pouvoir local. Ce sont des tches de gestion lourde peu gratifiantes . En France, le mme systme de gestion au niveau local, est en vigueur pour les pompiers. LÕexprience montre que la gestion des pompiers , bien que juridiquement dcentralise, nÕest pas intrinsquement diffrente de celle des policiers ou mme des gendarmes.
LÕ autre critre de la dcentralisation est juridique. Il comporte deux volets . Le premier a trait au pouvoir lgislatif : qui fait les lois et les rglements ? La France Š la diffrence de lÕEspagne ou de lÕAllemagne - sÕest jusquÕici refuse dcentraliser une quelconque parcelle du pouvoir de faire les lois ( ou de les adapter) . Les maires disposent seuls de pouvoirs rglementaires significatifs , de police principalement, dans le ressort de leur commune. Les collectivits intermdiaires, rgion et dpartement, nÕont que des pouvoirs rglementaires limits et elles ne les recherchent gure, sachant que ces pouvoirs sont trs astreignants . Il nÕest dÕailleurs pas souhaitable de trop disperser le pouvoir rglementaire.
Le second volet a trait au pouvoir excutif : qui applique les lois ? CÕest la grande marque du centralisme franais : il ne confie pas aux collectivits locales le soin dÕappliquer les lois dÕEtat ( hors certaines comptences dvolues aux maires qui sont officiers dÕtat-civil et officiers de police judiciaire pour le compte de lÕEtat ) . Tel nÕest pas le cas en Allemagne ou aux Etats-Unis o lnder et Etats se trouvent largement investis de la responsabilit , non seulement de respecter mais aussi de faire appliquer les lois fdrales. CÕest en cela aussi que lÕUnion europenne se distingue de lÕEtat franais : les rglements communautaires sont appliqus, pour lÕessentiel, par lÕadministration des Etats membres. On pourrait penser quÕil y a l une diffrence fondamentale ; tout dpend des moeurs du pays : une administration dirige localement qui se fait la gardienne vigilante dÕune lgislation dcide au niveau central nÕest pas envisageable partout : ce systme suppose une socit discipline , spontanment respectueuse des lois, ce quÕAlain Peyrefitte appelle une Ēsocit de confiance Č . Mais un excutif local qui agit de cette manire appartient-il encore au pouvoir local ? En dÕautres termes, quÕimporte que le prfet soir lu , sÕil se comporte comme un prfet nomm.
Le fait que lÕEtat garde pour lÕessentiel la responsabilit dÕappliquer les lois est une marque propre du centralisme franais. Elle se trouve redouble par une donne rarement mise en relief : cÕest le poids dÕun appareil dÕEtat qui pse paradoxalement dÕautant plus quÕil est dconcentr . Au niveau rgional et dpartemental , les assembles locales sont troitement doubles par le pouvoir dÕEtat : le prfet de rgion pour les conseils rgionaux, le prfet tout court pour les conseils gnraux, sans compter 300 sous-prfets qui suivent de prs lÕactivit des communes. En Allemagne, cette tutelle est encore plus troite, mais prfets et sous-prfets sont nomms par les lnder. En Angleterre, malgr le centralisme que lÕon observe en bien des domaines ( par exemple lÕencadrement troit des finances locales) , les reprsentants locaux des ministres Š qui travaillent en coopration troite mais sans tre chapeauts par un prfet Ē unique reprsentant de lÕEtat Č Š ne rsident pas ncessairement sur place : ils peuvent rsider Londres ou suivre en mme temps plusieurs comts (ou borroughs) . Ce marquage lourd des collectivits locales est trs franais . Il nÕest pas sr quÕil rsulte dÕune dcision dlibre. On a simplement , au moment des lois de dcentralisation, gard la structure tatique antrieure. Mais lÕide que les chelons locaux de lÕEtat doivent avoir le mme ressort que les collectivits locales est sans doute rexaminer.
Compte tenu de ces critres, quoi se rattache la Communaut europenne telle quÕelle prend tournure aujourdÕhui ?
Comme les rgimes constitutionnels Š tels les lments dans le tableau de Mendelieff Š ne sont pas variables lÕinfini mais se rapportent des catgories limites, on y reconnatra le modle de lÕEtat centraliste attnu tel quÕil existe en France aujourdÕhui : un centre (Bruxelles ou Paris) jaloux de ses prrogatives , des pouvoirs locaux puissants mais de plus en plus disperss et dont la dispersion mme assure lÕhgmonie de lÕchelon central. La complaisance que met la Commission Ē contourner Č les Etats est typiquement un comportement centraliste : il rappelle son niveau, la politique des rois de France qui tablissaient des relations directes avec leurs Ē bonnes villes Č en contournant les grands fodaux , politique qui est toujours celle de lÕEtat franais .
Sans doute ce paralllisme a-t-il des limites mais elles sont plus de degr que de nature : certes les pouvoirs budgtaires directs de la Commission sont encore limits si on les compare aux budgets nationaux . En outre , la Communaut nÕa pas , dans les Etats, ses propres agents dÕexcution : cÕest en thorie une diffrence importante, mais qui se trouve relativise si les fonctionnaires nationaux jouent fond, comme cÕest le cas en France, le jeu europen. En revanche les prrogatives rglementaires des instances communautaires sont de plus en plus tendues, ne laissant en bien des domaines que la portion congrue aux Parlements et aux gouvernements nationaux : presque toute la lgislation conomique se dcide dsormais au niveau communautaire. Il est significatif que les normes alimentaires qui en Allemagne taient de la comptence des lnder soient aujourdÕhui communautaires ou que la conduite des politiques de dveloppement rural que la loi Defferre avait transfres de lÕEtat aux rgions ait t en partie reprise par Bruxelles. La plupart des normes de production qui aux Etats-Unis se dcident gnralement lÕchelon des Etats, font lÕobjet de dcisions communautaires.
Les Etats europens ont aujourdÕhui moins de libert fiscale que les Etats amricains , comme le montre la difficult prsente de la France mettre en place une TVA taux rduit pour les disques ou la restauration . Et nÕoublions pas le droit pnal, dont on connat la diversit dans la fdration amricaine, alors que la Cour europenne des droits de lÕhomme Š qui nÕest pas un organe communautaire mais qui nÕen a pas moins une autorit croissante - exerce une censure de plus en plus vigilante sur les systmes judiciaires nationaux.
Disons , pour qualifier la vritable nature du systme communautaire, quÕil sÕagit dÕun centralisme encore plus attnu Š voire abtardi - que celui de lÕEtat franais , trs loign en tous cas , du modle fdral.
Les lecteurs de Rousseau ne sÕtonneront pas de cette propension centraliste de la Communaut : le philosophe pose en effet la rgle que Ē plus un Etat sÕagrandit , plus le gouvernement doit se resserrer Č (9) .
Si le vrai fdralisme implique une concentration du pouvoir local , le centralisme affaibli sÕaccommode dÕune superposition de pouvoirs de mme nature au dessous de lui. Le centralisme dur et le fdralisme ont des contours nets , le centralisme attnu , lui, brouille les contours.
Sans instaurer une vritable responsabilit locale, ce systme dilue la responsabilit nationale (ou supranationale) dans une cascade de niveaux superposs. Il peut sÕensuivre une crise de lÕautorit qui se manifestera par exemple par la hausse de la dlinquance ou de la criminalit ou encore la corruption. Propice aux mafias ( la manire dont celles-ci ont capt les aides europennes en Italie du Sud ou en Europe de lÕEst est significative) , cette structure lÕest galement aux idologies.
LÕidologie peut tre un moyen pour le pouvoir central de reprendre ce que par ailleurs il a dlgu. LÕadministration de la culture en France en est un bel exemple . La dcentralisation a donn en la matire de considrables pouvoirs aux collectivits locales. Partout prolifrent des vice-prsidents ou des adjoints dlgus la culture , gnralement plus incultes les uns que les autres. Sous lÕgide de Jack Lang, le ministre les a fortement incits recruter des fonctionnaires spcialiss , organiss en rseau autour de la rue de Valois dont ils sont en fait les relais et qui diffusent activement les modes parisiennes . Malheur aux lus qui voudraient sÕen passer : ils se trouveraient rapidement marginaliss, voire dnoncs comme ennemis de la culture.
Autre espce prolifrant dans le centralisme dgnr, celle des Ē porteurs de projet Č, spcialistes des tours de table complexes, ncessaires au bouclage des financements publics et qui, quand ils savent sÕy prendre, sont, dans cette jungle aux attributions enchevtres , les vrais fdrateurs.
Pas plus que les individus ne trouvaient autrefois leur compte dans ce que le gnral de Gaulle appelle Ē la broussaille fodale Č , les citoyens ne gagnent cette dispersion du pouvoir . Diluant la responsabilit , notamment fiscale, le centralisme attnu , est propice lÕinflation des cots de structure ou aux investissements pas toujours judicieux.
Les grandes structures sont en effet peu conomes des deniers publics : toujours selon Jean-Jacques , Ē plus la distance du peuple au gouvernement augmente et plus les tributs deviennent onreux Č (10) . A plus forte raison quand il sÕagit de grandes structures flasques !
Liberts locales et tradition
La troisime ide est que la vraie dcentralisation doit tre respectueuse de lÕhritage de lÕhistoire.
Si la dcentralisation est vraiment une entreprise librale ( et non une utopie constructiviste pour parler le langage de F.-A.von Hayek ) , elle doit tre respectueuse de lÕ hritage : non seulement des mĻurs et des habitudes dÕun pays, mais aussi des droits acquis des individus ou des communauts. Nous nous situons , en disant cela, trs clairement dans la perspective du libralisme de Burke , qui nÕexclut pas lÕvolution des institutions mais qui bannit toute ide de faire table rase du pass. Le vrai libralisme ne peut tre que rformiste. Si la dcentralisation est une entreprise librale, elle ne saurait rsulter que de modifications par petites touches , mnageant les institutions les plus vnrables hrites du pass.
Ē On ne doit toucher aux lois que la main tremblante Č disait Montesquieu . CÕest particulirement vrai dans le domaine des institutions locales , qui ont un caractre quasi-constitutionnel.
Cette ide relativise le principe juridique classique (promu par lÕcole de Kelsen) selon lequel les collectivits locales nÕont pas Ē la comptence de leur comptence Č , ce qui veut dire que lÕEtat peut modifier volont leurs comptences. Sans doute, sur le plan strictement juridique le dernier mot en la matire revient-il au lgislateur national . Mais le droit local touche trop aux ralits charnelles, historiques, culturelles ou gographiques, pour que le pouvoir central puisse y intervenir ad libitum.
Poussant cette ide aussi loin quÕil est possible, le libral anglais John Laughland (11) va jusquÕ contester , bien que catholique, la pertinence du principe de subsidiarit. On sait que selon ce principe, la comptence pour raliser tel ou tel type dÕaction doit tre attribue au niveau hirarchique Š ou collectif - le mieux plac pour cela . Or dit-il , dans sa nature originelle, le pouvoir , fut-il local, est de lÕordre de lÕtre, non du faire , sa raison dÕtre nÕest pas de raliser un programme dÕinvestissement Š dviation moderne lie une conception promthenne du pouvoir - , il est de prserver des droits . A quoi Laughland ajoute que la rpartition des pouvoirs est elle-mme tributaire de droits acquis , caractre historique, et non dÕune rationalit abstraite et intemporelle telle quÕon pourrait la dduire du principe de subsidiarit. En dÕautres termes , la justice est plus importante que lÕefficacit.
Mme si on nÕadopte pas ce point de vue extrme Š dÕailleurs trs favorable aux liberts locales - , il reste que le vrai libralisme ne permet pas de faire nÕimporte quoi en matire dÕadministration locale.
Ce respect des institutions existantes , consacres par le temps , rend , en France, difficile lÕarbitrage , que tout le monde juge ncessaire mais que personne nÕenvisage de rendre dans un proche avenir, entre la rgion et le dpartement , niveaux dÕadministration lourds, largement redondants et qui , surtout, ainsi quÕon lÕa dit, sÕaffaiblissent rciproquement face lÕEtat central.
La rgion est certes dÕinstitution rcente mais elle sÕappuie sur une rseau de mtropoles rgionales la personnalit marque et pouse peu prs le contour des anciennes provinces.
Le dpartement ne date que de 1790 mais il a eu, en deux sicles dÕexistence, le temps de sÕenraciner au point dÕtre ressenti aujourdÕhui comme une ralit charnelle, lieu dÕidentit fort , structurant encore de manire prgnante la gographie mentale des Franais.
Sans doute la rgion est-elle perue dans les sphres dirigeantes comme une entit mergente et moderne, le dpartement au contraire comme vieillot . Mais la prsence de presque tous les prsidents de conseil gnral au Snat , lequel garde , de par lÕusage, le dernier mot en matire de rformes institutionnelles locales , bloque pour longtemps toute entreprise qui aurait pour effet dÕ abolir le dpartement .
La technocratie franaise a pris moins de gants avec la structure communale. Une des spcificits de lÕorganisation territoriale franaise est de sÕappuyer sur un rseau de communes trs nombreuses : plus de 36 000 (12), dont beaucoup sont petites ou trs petites (quelques centaines dÕhabitants, parfois moins).
CÕest l lÕhritage de la vieille France rurale, plus densment peuple autrefois que le reste de lÕEurope , lÕoccupation humaine plus ancienne et plus fine, mais marque par le double effet de la dnatalit franaise du XIXe sicle et, sur une partie du territoire, de lÕexode rural . Il ne reste de ce fait , dans une bonne moiti de la France, que le squelette de lÕ ancienne structure. Mais ce squelette est vnrable : certaines de ces communes remontent lÕpoque celtique . Beaucoup sont les hritires des paroisses du Moyen-Age : le village rural autour de son clocher demeure un symbole fort dÕune certaine France.
Malgr son aspect archaque , cette structure ne prsentait , osons le dire, que des avantages et gure dÕinconvnients . Avantage civique : ces petites communauts, chacune avec son maire et son conseil municipal , sont un lieu emblmatique de la res publica, o les taux de participation lectorale sont plus levs, le vote protestataire ou extrmiste plus faible que dans le reste du pays . Prs dÕun demi-million dÕlus locaux ne sont pas une charge car la plupart sont bnvoles, mais une forte cole de dmocratie . Avantage financier : contrairement lÕide reue selon laquelle les petites units sont moins efficaces , elles offrent la population une administration gnrale bon march , parce que les conseils municipaux ruraux taient peu dpensiers, parce que tant les maires que les secrtaires de mairie ne comptaient pas leur temps . Leur capacit dÕinvestir tait certes limite mais les citoyens trouvaient la ville voisine les services dont ils ne disposaient pas sur place, tout en alimentant, en y faisant leurs courses, le budget de la grande commune. Les petites communes avaient au demeurant la possibilit de regrouper leurs efforts dans des syndicats aux formes juridiques varies et elles ne sÕen privaient pas.
Pourtant la technocratie parisienne a toujours jug ce systme archaque et tente depuis trente ans avec obstination , imposant ses prjugs aux ministres tant de droite que de gauche, dÕen venir bout. Les dernires tentatives, aujourdÕhui en passe de russir, sont la loi Joxe (1992), dont les dispositions ont t renforces par les lois Pasqua (1995) et Chevnement (1999) . Le but de ces textes est , par une combinaison de pressions prfectorales et dÕincitations financires lourdes, de vider de leur substance les petites communes pour les intgrer des units rayon plus large appeles du nom barbare de Ē communauts de communes Č.
En poursuivant un tel objectif , seulement fond sur les a priori de la rationalit abstraite Š et lÕimitation servile de modles trangers , on commet une grave erreur dÕanalyse. On pense simplifier, on complique . DÕabord parce que lÕadministration locale devient plus chre : il est constant en effet que plus les units administratives sont grandes , plus elles cotent cher par habitant Š sans ncessairement rendre de meilleurs services ; lÕadministration publique est le domaine par excellence des dsconomies dÕchelle . Ensuite parce que , au moins dans un premier temps , la nouvelle structure ne se substitue pas lÕancienne mais sÕy superpose , ce qui implique le ddoublement de presque toutes les fonctions, du nombre de runions et naturellement des indemnits verses aux lus . Complication supplmentaire : les contours des nouvelles entits, souvent dcoups en fonction de lÕopportunit politique, sont terriblement enchevtrs. Enfin , le gouvernement, jugeant les communauts de communes elles-mmes trop petites, promeut en parallle une nouvelles structure, qui se superpose aux deux autres : le pays !
Est-il ncessaire de dire que ce que dans le jargon des initis on appelle lÕ Ē intercommunalit Č nÕapporte rien au dveloppement des zones rurales qui , comme il est normal en conomie librale, repose dÕabord sur lÕinitiative prive ? Au contraire, ces zones perdent par ces mcanismes leur principal avantage comparatif : une fiscalit plus lgre . LÕalourdissement de la fiscalit entran par les communauts de communes ne saurait tonner : tout le dispositif peut sÕanalyser comme un effort des grands notables, maires des villes moyennes ou grandes , qui ont atteint les limites de leur potentiel fiscal , pour retrouver une marge de manĻuvre en confiscant pour les projets de la ville-centre celle qui existe encore dans lÕ arrire-pays.
Erreur dÕanalyse, effets pervers en cascade : le systme est cependant accept par les lus nationaux qui trouvent dans ce rseau enchevtr de structures le moyen de renforcer leur rseau clientliste . Il est en revanche de plus en plus impopulaire chez les maires des petites communes (13) , mme si beaucoup sÕy rsignent parce quÕon les a persuads quÕil sÕagit dÕune volution inluctable.
La France nÕest pas seule en cause : lÕAngleterre avait depuis longtemps vid de sa substance les paroisses , units administratives de base , et mme les districts au bnfice des comts , grands comme deux dpartement franais en moyenne et qui grent aujourdÕhui Š de pair avec les borroughs urbains - 90 % des budgets locaux . La plupart des lnder allemands avaient de leur ct fusionn dÕautorit les petites communes avec une brutalit laquelle on nÕa pas , heureusement , eu recours en France.
Derrire les tentatives franaises de regroupement des communes , un discours apparemment dcentralisateur . Ē Il faut, dit-on, renforcer le pouvoir local . Or nos communes sont trop faibles . Pour quÕelles puissent sÕmanciper, fusionnons les pour reconstruire des units plus grandes mieux mme de se prendre en charge . Č
Mais faut-il , pour arriver un tel rsultat, faire ce travail Ē constructiviste Č , idologique et simplificateur , destructeur de communauts lÕenracinement historique immmorial , et en dfinitive dispendieux ? Comment ne pas voir derrire cette volont dÕadministrer les campagnes par grandes units plus ou moins artificielles et ncessairement plus bureaucratiques, les traces de lÕ imprgnation marxiste dÕune partie de nos lites ? Dans le neuvime des dix points du programme du Manifeste du parti communiste (14) , Karl Marx prconise des Ē mesures tendant faire disparatre la distinction entre ville et campagne Č . Comment ? Forons le trait : comme Pol Pot qui vida les villes dans les campagnes ? Ou comme Ceaucescu , qui entreprit de raser les villages traditionnels roumains pour les remplacer par des blocs HLM ? Il nÕest bien entendu pas question dÕaller si loin . Mais lÕesprit est le mme . Nos girondins , fort loigns du libralisme burkien, veulent dmolir le paysage administratif local pour le reconstruire leur gr . Ils nous rappellent ainsi ce que lÕon oublie trop souvent : les Girondins de 1792 , eux aussi, avaient fait leurs classes au Club des Jacobins !
Le problme de lÕintercommunalit ne concerne pas que les campagnes . Il intresse aussi les agglomrations. Certains diront que cÕest surtout l quÕelle est ncessaire . La mise en place dÕune administration dÕagglomration semble en effet se justifier davantage dans des ensembles urbains dÕune certaine importance qui ne forment quÕune seule unit fonctionnelle . Mais l aussi pourquoi violenter des communauts historiques , lÕidentit plus forte quÕon ne pourrait le croire, malgr la continuit et parfois la grisaille des banlieues ? Une bonne prquation de la taxe professionnelle et le transfert de certaine fonctions des tablissements publics dÕagglomration ne suffiraient-ils pas ?
La tentation du constructivisme idologique se retrouve aujourdÕhui dans lÕanalyse la plus commune du fait rgional . Les rgions , cres ex-nihilo en 1972 avaient vit ce risque : on avait pris soin de les dcouper en fonction de lÕhritage historique des provinces dÕAncien rgime et globalement , le travail est satisfaisant.
Pourtant il est aujourdÕhui la mode de remettre en cause ce dcoupage . Nos rgions sont trop petites ou trop faibles, dit-on, il faut les regrouper en 7 ou 8 superrgions (au lieu de 22) pour quÕelles psent autant que les rgions des autre pays dÕEurope et permettre ainsi une vraie dcentralisation , voire le passage au stade fdral. Double erreur dÕanalyse : dÕabord , comme on lÕa vu, ce qui affaiblit les rgions franaises, autant que leur taille, cÕest le partage de leurs comptences avec les dpartements. Ensuite , les rgions europennes avec lesquelles on compare gnralement les ntres, sont celles qui ne se trouvent pas loin de nos frontires : lnder de Rhnanie-Westphalie ou de Rhnanie-Palatinat (ou , un, peu plus loin la Bavire) , Pimont ou Lombardie, Catalogne , qui , les hasards de la gographie aidant, sont exceptionnellement peuples .Mais ce nÕest pas la rgle gnrale en Europe . La population moyenne des nouveaux lnder dÕAllemagne de lÕEst est comparable celle des rgions franaises . Et lÕAngleterre nÕa pas de rgions (15) !
Surtout , qui ne voit le risque quÕil y aurait dstabiliser des entits administratives encore jeunes et auxquelles le temps nÕa pas t laiss pour sÕenraciner, au bnfice de constructions encore plus artificielles ? QuÕ la rigueur on fusionne Haute et Basse Normandie, personne nÕy trouvera redire , mais aller plus loin serait faire injure au temps quÕil faut toujours laisser aux institutions pour se consolider .
Derrire cette ide de regroupement des rgions franaises, une autre approche artificielle et constructiviste , qui concerne cette fois le rseau urbain.
Le gographe Roger Brunet (16) a analys , dans une tude dsormais classique, le rseau urbain europen, selon une mthode multicritres , o la population des villes demeure cependant le facteur le plus important . Il en conclut que la France , prsente, grce Paris et son agglomration dans les villes de classe 1 (il nÕy en a que deux en Europe : Paris et Londres ; sans la guerre , Berlin y aurait certainement figur ) , prsente dans les villes de classe 4 ( Lyon) et 5 (Marseille, Strasbourg et Toulouse), ptit dÕune carence srieuse en villes de classes 2 et 3 . Ces dernires sont au contraire largement reprsentes dans les autres pays dÕEurope : Barcelone, Milan , Turin, Mnich, Francfort , Hambourg etc...appartiennent ces catgories intermdiaires, les trs grandes villes qui, sans tre des mtropoles mondiales , exercent un fort rayonnement international.
A juste titre on met en relation cette analyse gographique avec lÕhritage du centralisme franais : la structure urbaine fait que la capitale manque de contrepoids sa mesure et peut en effet expliquer une certaine faiblesse du pouvoir rgional (malgr les progrs considrables raliss depuis quarante ans , en termes dÕquipement , dÕautonomie de dcision et de rayonnement international par nos mtropoles rgionales, dites dÕ Ē quilibre Č ).
A tort en revanche, on imagine quÕune donne aussi lourde que la structure urbaine , appartenant ce que Fernand Braudel appelait lÕhistoire longue, puisse tre change par un simple redcoupage de la carte administrative , voire une politique active dÕamnagement du territoire . La physionomie du paysage urbain franais , marqu par une forte hgmonie parisienne et une insuffisance de grandes villes de dimension europenne se rencontrait dj au XIIIe sicle o on ne trouvait rien en France entre Paris (300 000 habitants) et Orlans (30 000 habitants) . CÕest dire lÕinanit de plans qui viseraient remettre en cause horizon humain cette structure.
DÕautant que notre structure urbaine sÕinscrit dans une structure europenne , elle aussi trs ancienne et stable . Celle-ci est marque par une forte dichotomie (17) entre :
- la diagonale carolingienne qui va des Pays-Bas la Sicile , zone de forte densit dmographique et dÕintense activit conomique , riche en voies de communications de toutes sortes , marque par un chapelet de nombreuses villes de classe 2 et 3 (pour parler comme Brunet) mais o ne se trouve aucune grande capitale politique ou ville de classe 1 (sauf considrer que Rome en est une, mais la Ville ternelle nÕa jamais domin lÕItalie moderne comme Paris la France ou Londres lÕAngleterre ; quant Bonn , elle vient prcisment de cesser dÕtre une capitale , Bruxelles et Strasbourg tant de nouvelles venues dans une configuration indite ) ; cette diagonale centrale, de Bruges Florence en passant par Cologne, fut le territoire historique des grosses rpubliques marchandes allergiques au pouvoir central .
- le reste de lÕEurope , lÕOuest et lÕEst de cette diagonale, espace traditionnellement dvolu au contraire des monarchies centralises organises autour dÕune grande capitale : la France, la Castille, la Prusse , lÕAutriche , la Hongrie , plus loin la Russie . Ces grands capitales , le plus souvent produit dÕune volont politique , y crasent le reste du rseau urbain comme le pouvoir central y a longtemps cras le pouvoir rgional.
Ce schma peut bien entendu se compliquer ici et l : cas particulier de la Catalogne ou du Pays basque , existence de quelques grandes villes anglaises en dehors de Londres, du fait de la Rvolution industrielle .
Il reste quÕon a l une structure forte de lÕespace europen . Tout se passe comme si la centralit politique des ples extrieurs et le dynamisme conomique de lÕaxe rhnan-italien sÕtaient longtemps exclus . La puissance de lÕAllemagne moderne rsulte elle-mme de la conjonction esquisse en 1815 et ralise en 1870 dÕun Etat centralis , lÕcart de lÕaxe mdian , et de la partie la plus dynamique de cet axe , la partie rhnane , de la conjonction de Berlin et de Cologne , de la Prusse et de la Rhnanie. .
On ne sera pas tonn que prosprent proximit de la diagonale carolingienne les modles fdraux : Allemagne fdrale, qui fut jusquÕen 1990 un Etat rhnan, Confdration helvtique ou les Etats fortement dcentraliss : Italie. Le fdralisme espagnol, trs jeune comme on sait , qui semble faire exception cette rgle , puisque lÕEspagne se trouve lÕcart de lÕaxe mdian , a dÕabord pour but de rsoudre les problmes spcifiques la Catalogne et au Pays basque , problmes trs diffrents lÕun de lÕautre au demeurant. LÕAngleterre est au contraire depuis les annes 1980 , conformment sa vraie tradition , une Etat centralis .
Mme si la tendance est incontestablement en Europe la dcentralisation ( sauf en Angleterre o les rformes Blair (18) nÕont que partiellement remis en cause le centralisme thatchrien ), ce mouvement doit tenir compte des ralits historiques et gographiques : le modle des grandes cits marchandes autonomes, fondement du fdralisme de type rhnan ne se transposera pas du jour au lendemain dans un pays qui fut longtemps celui de la monarchie centraliste et des Ē bonnes villes Č royales. La Communaut europenne qui prche la dcentralisation la Pologne, la Tchquie, la Hongrie, la Russie , y fait la mme exprience.
La Ē dconstruction Č aussi bien que la reconstruction sont trangers lÕesprit du vrai libralisme, lequel est au contraire respectueux , non seulement des droits acquis, mais encore des ralits historiques .
Une marge de manĻuvre
limite
Il rsulte de ces considrations que la marge de manĻuvre pour un nouveau train de dcentralisation est , en France , limite , sachant que les solutions radicales , qui feraient violence aux ralits existantes, semblent heureusement exclues.
La plus radicale de ces solutions serait lÕinstauration dÕun fdralisme la franaise. Conformment la thorie fdrale, il ne pourrait se faire quÕau bnfice du niveau 2 , donc des rgions. Cela impliquerait le transfert aux rgions dÕune partie du pouvoir lgislatif ou rglementaire . Mme si lÕon admet la possibilit de quelques mesures dÕadaptation pour des rgions la personnalit tout fait singulire comme la Corse, personne nÕenvisage que le pouvoir central se dessaisisse de manire significative en cette matire . Cela serait au demeurant paradoxal au moment o une grande partie du pouvoir de lÕEtat , au moins dans le domaine conomique, migre au contraire vers Bruxelles.
Mais il est une autre direction, au moins aussi importante, que lÕon pourrait prendre sur la voie du fdralisme : le transfert aux rgions du contrle des collectivits locales de rang infrieur , y compris le dpartement , et dÕune faon gnrale de lÕapplication de la lgislation dÕEtat : les prfets, sÕil en reste, les inspecteurs dÕacadmie , les responsables de la police rpondraient , dans un tel schma, devant le seul pouvoir rgional ( la situation de la magistrature restant prciser). Non seulement une telle logique se trouve aux antipodes de notre tradition historique, mais encore bien peu la souhaitent vritablement. Les rgions partent de si bas quÕelles ne sauraient si rapidement embrasser des pouvoirs aussi tendus et moins gratifiants que ceux dont elles disposent dj . Les dpartements et les communes, conformment une logique qui a prvalu tout au long de la monarchie captienne , prfrent la tutelle dbonnaire du reprsentant dÕun pouvoir central lointain, plutt que celle dÕun pouvoir rgional trop proche et , bien des gards, rival.
Une solution plus modre , le sacrifice du dpartement au bnfice de la rgion , qui sÕen trouverait renforce, est lui aussi peu probable. Il faudrait un pouvoir national singulirement fort pour se rsoudre une solution aussi radicale. LÕide , plus modeste, dÕune meilleure rpartition des Ē blocs de comptence Č entre les collectivits des diffrents rangs , qui aujourdÕhui se trouvent en concurrence en de multiples domaines, revient rgulirement lÕordre du jour. Elle se heurte cependant au principe de lÕuniversalit du suffrage populaire . Qui dit blocs de comptence implique que les lus de tel ou telle collectivit seront a contrario incomptents dans dÕautres domaines. Or il est difficile aux lus du suffrage universel , face un public peu inform , de se dclarer compltement incomptents dans une matire essentielle . Il y a donc bien des chances que les tentatives de clarification futures nÕaient pas plus de succs que les prcdentes et que lÕenchevtrement des comptences demeure longtemps une spcialit bien franaise.
Un autre choix devra sÕoprer entre les niveaux infrieurs dÕadministration , communes, communauts de communes et pays o au moins un niveau est de trop. Nous prconisons dÕpargner , sÕil est encore temps , la commune pour toutes les raisons humaines et historiques qui ont t dites , et de regrouper en revanche les communauts de commune (en abandonnant ce vocable ridiculement lourd) au sein de Ē pays Č aux comptences allges .
Faute dÕinstaurer un vrai fdralisme ou de faire un choix clair entre rgion et dpartement, on peut penser que les rformes , si rforme il y a , nÕauront lieu quÕ la marge : la gestion des ports et des aroports, les quipements hospitaliers et mme universitaires , les routes aujourdÕhui nationales peuvent tre transfres aux rgions condition de leur transfrer aussi les ressources correspondantes . Nous restons , ce faisant, dans le cadre classique de la rgion syndicat dÕinvestissement tel quÕil a t conu en 1972. La formation professionnelle, qui revient comme le serpent de mer dans tous les projets de dcentralisation, a dj t transfre en grande partie . Mais la tendance naturelle des rgions a t jusquÕici, en ce domaine, de dlaisser les politiques nationales en faveur des exclus au bnfice des formations haut de gamme plus valorisantes. La lutte contre lÕ Ē exclusion Č demeurant une priorit de tous les gouvernements, lÕEtat sÕy rinvestit intervalle rguliers devant ce quÕil faut bien appeler la carence des rgions.
Mais pas davantage que le transfert du Ē contrle administratif Č aux rgions , personne nÕenvisage pour le moment celui des tches de gestion lourde : personnels de lÕducation nationale, de la police , de lÕquipement etc.
De nouvelles pistes peuvent cependant tre explores .
La premire est lÕordre du jour . Il sÕagit dÕattnuer le principe de lÕuniformit juridique du territoire franais en permettant certaines rgions la personnalit originale de bnficier dÕun statut drogatoire . LÕide dÕexprimenter certains transferts de comptence dans telle ou telle rgion va dans ce sens . Encore quÕelle tmoigne davantage des incertitudes des tenants dÕun Ē pouvoir modeste Č que dÕune vritable philosophie . Mettre fin la dualit conseil rgional Š conseil gnral , fcheusement impose par une dcision du Conseil constitutionnel en 1984, en Corse et outre-mer, serait un moyen simple la fois de renforcer ces collectivits atypiques et dÕy simplifier lÕadministration !
La seconde , moins dans le vent, serait de relcher le marquage troit que lÕEtat opre sur les entits locales , en mettant fin au dogme du paralllisme reprsentation locale de lÕEtat- collectivit locale tel quÕil sÕexprime aujourdÕhui tant au niveau rgional que dpartemental ( voire celui de lÕarrondissement-pays) .
LÕide dÕun pouvoir interrgional , dstabilisatrice pour la collectivit rgionale , pourrait en revanche tre envisage au niveau de lÕadministration de lÕEtat . En resserrant sa reprsentation en 4 ou 5 grandes prfectures de rgion, on ne ferait dÕailleurs que retrouver le schma des IGAME de 1948 (19) et calquer la structure de beaucoup dÕorganismes parapublics ou privs ( La Poste, les grandes banques etc.) qui , tout en conservant leur rseau dpartemental , ont simplifi leur carte rgionale. Dans une structure de ce type, lÕadministration de lÕEtat serait allge et les rgions trouveraient un peu dÕair.
De mme , le maintien dÕune reprsentation forte de lÕEtat au niveau dpartemental , qui prserverait le statut des villes-chef-lieu , ne serait pas incompatible avec le transfert de certaines attributions de la collectivit dpartementale vers les pays ou les grandes villes , supposer quÕon se rsolve sÕengager sur cette voie.
Aux niveaux infrieurs , cette dualit nÕest en revanche pas instaurer puisque elle a toujours exist au sein du couple sous-prfecture Š commune.
Une autre direction , quÕil faut non seulement explorer mais promouvoir , est une meilleure responsabilisation financire des collectivits locales. Il est temps que chaque citoyen ait une ide claire de qui dpense quoi .
Cette responsabilisation constitue un immense chantier . Elle implique dÕabord une substitution progressive de recettes fiscales aux dotations de lÕEtat , ce qui suppose que lÕon rnove les finances locales , toujours assises pour lÕessentiel sur les Ē quatre vieilles Č ( taxe sur le foncier bti et non-bti, taxe dÕhabitation et taxe professionnelle , instaures en 1789 (20) ) , la fois inquitables et de peu de rapport . Il implique aussi une diminution des subventions spcifiques au bnfice de subventions globales , et mieux encore de ressources propres . CÕest ce quÕa fait pour lÕessentiel lÕEtat en 1983. Mais rgions et dpartements continuent plus que jamais de Ē tenir Č les communes grce des subventions spcifiques lÕattribution discrtionnaire. Une telle clarification serait bien sr un considrable sacrifice pour tous ceux qui alimentent leurs rseaux politiques par ce systme.
LÕeffet redistributeur quÕoprent dotations et subventions , des collectivits les plus riches vers les autres (mais aussi quelquefois lÕinverse !) doit tre recherch par dÕautres moyens , par exemple par un systme de prquation des ressources fort , tel quÕil existe en Allemagne. Une telle prquation est le seul moyen dÕempcher que la dcentralisation, comme cÕest la tendance naturelle, nÕenrichisse les rgions riches et nÕappauvrisse les rgions pauvres. LÕIle-de-France (21) tant , de loin, la plus riche des rgions , cette ide sÕest heurte jusquÕici des obstacles politiques qui pourraient tre un jour levs.
Mais il ne suffit pas que les collectivits locales sÕautofinancent ; il faut que les citoyens le sachent . Instaurer un rseau local de perception de lÕimpt , distinct de celui de lÕEtat, comme il en existe pourtant chez la plupart de nos voisins, serait trop coteux ; cependant lÕinstallation de recettes particulires dans les mairies, les htels de dpartement ou de rgion pourrait utilement contribuer une meilleure instruction civique de nos concitoyens ! Si lÕon veut tre libral en matire de pouvoir local, il faut lÕtre jusqu'au bout .
Par-del le problme de la transparence des finances locales , nous retrouvons la question essentielle de lÕincidence de la dcentralisation sur le poids de la sphre publique. La question du libralisme porte sur deux curseurs : le premier spare la responsabilit de lÕEtat central de celle des pouvoirs locaux, le deuxime la sphre publique de la sphre prive, particuliers et entreprises. Il est clair que les deux curseurs ne circulent pas indpendamment lÕun de lÕautre.
Mme sÕil est en thorie possible de dcentraliser primtre public constant , il ne semble pas , nous lÕavons dit, quÕil y ait dÕexemple o la dcentralisation ne se soit pas traduite par un alourdissement des prlvements . Et si lÕon nÕchappe pas lÕalternative entre lÕextension des comptences des pouvoirs locaux et la prservation de la sphre prive, dÕabord par une fiscalit modre, quel est le bon choix ? Il ne devrait pas faire de doute pour un vrai libral.
Roland HUREAUX
NOTES
1. Le principe de subsidiarit est bien expos dans lÕencyclique Quadragesimo anno du pape Pie XI ( 15 mai 1931 ) ¤ 85-88 mais il ne sÕagit pas dÕune proclamation ex-cathedra .
2. Ē Dans les domaines qui ne relvent pas de sa comptence exclusive, la Communaut nÕintervient, conformment au principe de subsidiarit , que si et dans la mesure o les objectifs de lÕaction envisage ne peuvent tre raliss de manire suffisante par les Etats membres et peuvent donc , en raison des dimensions ou des effets de lÕaction envisage , tre mieux raliss au niveau communautaire. Č (article 3B du Trait de Maastricht). Il est noter que le principe de subsidiarit ne sÕapplique, selon le trait , quÕen dehors du champ de la comptence exclusive de la Communaut.
3. Voici un cho parmi dÕautres de cette dmonologie : Ē Ces quelques remarques sur lÕanticorporatisme de la culture politique franaise aprs la Rvolution , ces remarques sur lÕEtat rationalisateur nous amnent faire un constat lmentaire : cÕest que le bonapartisme constitue la quintessence de la culture politique franaise . CÕest en lui quÕont prtendu fusionner le culte de lÕEtat rationalisateur et la mise en scne dÕun peuple un. Le bonapartisme est aussi pour cela la cl de comprhension de lÕillibralisme franais Č (Pierre Rosanvallon) Le Figaro, 19 janvier 2001 , Ē LÕillibralisme franais Č.
4. Jean-Paul Weber et Catherine Grmillon, Le prfet et ses notables, Paris 1964.
5. On peut souponner que le poids lev des prlvements obligatoires est en partie responsable du recul de la France, dans lÕchelle du PIB per capita , de la troisime la douzime place dans lÕEurope des Quinze, entre 1992 et 2002. Pour mmoire , les taux de prlvements obligatoires taient en 1999 de 26,2 % au Japon, 28,9% aux Etats-Unis, 36,3% au Royaume-Uni , 37,7% en Allemagne , 45,8% en France , qui nÕest dpasse que par la Sude : 52,2 %.
6. Source : CEDEF Š Ministre de lÕEconomie et des Finances.
7. Jean Marensin, Ē Libralisme et centralisme en France et en Angleterre Č in Commentaire , printemps 1990 .
8. Ces propos paratront iconoclastes au Comit des finances locales, pourtant prsid par le trs libral Jean-Pierre Fourcade , qui, plus que les ministres successifs de lÕintrieur , a la haute main sur cette question.
9. Jean-Jacques Rousseau , Le contrat social, Livre III, Chapitre II
10. Op.cit. Livre III, Chapitre VIII.
11. John Laughland , La libert des nations , Franois-Xavier de Guibert, 2001.
12. Il y avait au 1/1/1997 : 36560 communes en mtropole, 114 dans les DOM et 80 dans les TOM.
13. Un candidat lÕlection prsidentielle de 2002 , Daniel Gluckstein , a pu recueillir sans difficult les 500 signatures ncessaires par une campagne contre lÕintercommunalit.
14. Karl Marx , Manifeste du parti communiste , Mille et une nuits, page 43.
15. Nous parlons de lÕAngleterre seule (qui compte plus de 50 millions dÕhabitants) . LÕEcosse, le Pays de Galles et lÕIrlande du Nord ont un statut part.
16. GIP Reclus, Les villes europennes, mai 1989, sous la direction de Roger Brunet. La documentation franaise .
17. Roland Hureaux , Ē La diagonale carolingienne : les dynamiques europennes de lÕamnagement du territoire Č in Administration, oct-dc.1995.
18. Le gouvernement Blair a tempr le centralisme de Margaret Thatcher , notamment en rtablissant lÕchelon administratif du Grand Londres et en accroissant lÕautonomie de lÕEcosse et du Pays de Galles.
19. Inspecteurs gnraux de lÕadministration en mission extraordinaires . Ce sont les anctres des prfets de rgion.
20. LÕAssemble constituante institua ces quatre taxes sous le nom de impt foncier bti et non bti, impt sur les portes et fentres, patente. Il sÕagissait lÕorigine dÕimpts dÕEtat sur lesquels les communes et dpartements instituaient pour leurs besoins propres des Ē centimes additionnels Č. Quand les Ē quatre vieilles Č cessrent en 1914 dÕtre perues par lÕEtat, seule resta la part additionnelle.
21. Le revenu par tte de lÕIle-de-France se situe 70 % au-dessus de la moyenne franaise.