Mis à jour le 13/05/09

Le libre-échange favorise-t-il la compétitivité?

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Le commerce extérieur et l'investissement international sont devenus les étalons absolus pour évaluer la politique d'un gouvernement. Dani Rodrik, professeur à Harvard conteste cette thèse: si la première vague de pays asiatiques a pu profiter du commerce international, c'est avant tout grâce à des politiques nationales. L'intégration dans le commerce international ne peut tenir lieu de politique de développement. Lire " The developing countries: hasardous obsession with global integration" (cet article important a été traduit en français dans le N° 10 de "L'économie politique"). L'auteur y montre que le coût d'entrée dans le commerce international, compte tenu des nouvelles règles de l'OMC, ne peut laisser espérer que se renouvelle le miracle des tigres asiatiques des années 60 et 70.Les travaux de Joseph Stiglitz sur la question sont désormais connus pour sa critique de la politique du FMI. Il faut découvrir ceux de l'économiste
From Renaissance Italy to the modern Far East, the development of the world’s wealthy nations has been driven by a combination of government intervention, initial protectionism, and the strategically timed introduction of free trade and investments. So says Erik Reinert, a leading economist who does not subscribe to the orthodoxy. Yet despite its demonstrable success, when it comes to development in the poorer nations, Western powers have largely ignored this approach and have taken the toughest of hard lines on the importance of free trade.

Reinert sets out his revisionist history of economics and shows how the discipline has long been torn between the continental Renaissance tradition on one hand and the free market theories of English and later American economics on the other. He argues that our economies were founded on protectionism and state activism and it was long before they could afford the luxury of free trade. When our leaders come to lecture poor countries on the right road to riches they do so in almost perfect ignorance of the real history of mass affluence.

One country’s medicine could be another country’s poison. A book aimed at a politically aware and progressively minded readership, How Rich Countries Got Rich . . . will bury economic orthodoxy once and for all and open up the debate on why free trade is not the best answer for our hopes of worldwide prosperity.

norvégien Erik Reinert qui vient de publier un fascinant ouvrage How Rich Countries Got Rich.... and Why Poor countries Stay Poor. Reinert montre que depuis le début du développement industriel, soit la Renaissance, les pays qui se sont développés ont pratiqué une politique industrielle axée sur l'exportation de produits manufacturés et l'importation de produits bruts. Le libre-échange n'est pertinent qu'une fois ce stade de développement réalisé qui permet aux pays d'exporter une production industrielle qui s'est édifiée à l'abri des barrières douanières: ce fut le cas de l'Angleterre, des Etats-Unis, de l'Allemagne, de la France et, aujourd'hui de la Chine. Cet ouvrage est une somme d'histoire des théories économiques qui nous fait découvrir des théoriciens inconnus, à commencer par Antonio Serra qui, en 1613, a, le premier formulé la loi des rendements croissants de l'activité industrielle et des villes. Je me suis beaucoup inspiré des travaux de Reinert dans mon livre L'innovation, une affaire d'Etat, mais je ne disposais par de cette somme qui est de surcroît d'une lecture agréable.

Bien évidemment, cet ouvrage déchaîne les foudres des orthodoxes du FMI qui n'ont, comme pour Stiglitz, d'autres arguments que d'invoquer la maladie mentale! Erik Reinert répond à Paul Collier pour qui la seule mesure du développement est celui du commerce, alors que Reinert montre que l'accroissement du commerce peut aboutir à une baisse des salaires. Ce livre sonne le retour de l'économie institutionnelle et du rôle de l'Etat, effacé par l'économie néoclassique et l'école de Chicago.

Les critiques:

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Alors? Protectionisme ou libre-échange? Ce sont deux outils d'une stratégie industrielle. Le libre-échange favorise les pays qui ont une production industrielle à écouler, mais, au nom de la théorie des avantages comparatifs de Ricardo, tend à spécialiser les pays pauvres dans des productions de faible valeur, dits à "rendements décroissants". L'ouverture au commerce international ne peut se pratiquer que comme on apprend à un enfant à faire du vélo: il faut lui tenir la selle et à un moment le lâcher et le laisser aller seul: c'est le protectionisme éducateur dont Friedrich List s'est fait l'avocat en 1841, un livre qui n'a pas pris une ride!

Un auteur important à découvrir est Ha Joon-Chang, coréen professeur à Cambridge dont j'ai depuis longtemps recommandé le Kicking away the ladder, qui est une adapta tion à l'époque contemporaine de l'analyse de Friedrich List. Il publie une analyse du mythe du libre-échange dans son dernier livre Bad Samaritans. On en trouvera une excellente analyse par Chalmers Johnson sur son site Japan Policy Research Institute qui gagne à être découvert!

Ha Joon-Chang est le strict opposé de Thomas Friedman, l'éditorialiste vedette du New York Times qui a publié un essai lu par tous les bobos et les doctrinaires du libre-échange "Le monde est plat" dont lira une présentation par Joseph Nye (le théoricien du "Soft Power"). Friedman est le théoricien de la toute puissance américaine. Pour Chang, il ne fait que reproduire ici la bonne vieille stratégie de l'Angleterre qui a assuré sa fortune par le protectionisme et s'est convertie au libre-échange qu'une fois sa puissance assurée, et ce, bien sûr, afin d'écouler les produits de son industrie en convaincant les pays que c'était de son intérêt d'ourvir leurs frontières!

Jagdish Bhagwati , économiste américain d’origine indienne, est un fervent partisan de la libéralisation des échanges, dans laquelle il voit une source d’innovation et de développement des pays pauvres, pour autant que les pays les plus riches – à commencer par les Etats-Unis- donnent unilatéralement l’exemple, au lieu de prôner le libre-échange pour les autres, et de pratiquer pour eux, un protectionnisme masqué .
Mais étendre cette liberté des échanges à la libre circulation des capitaux, c’est tout simplement un piratage du complexe fina
nciaro – boursier de Wall street, s’exclame-t-il en le comparant, en nuisance, à l’action du lobby militaro-industriel ! " Ils ont pris l’habitude de nous emmener en bateau dans la célébration du nouveau monde des milliards de dollars se déplaçant quotidiennement dans un monde sans frontières, créant des gains économiques gigantesques, récompensant la vertu et punissant le vice ". Tout est faux dans tout cela, ce n’est que du baratin de lobbyiste, où Wall Street confond ses intérêts avec ceux du monde !
Le monde de la finance est un monde qui vole au dessus de l’économie réelle et qui est mu par les phobies, les manies et les paniques, conclut Bhagwati.
Cet article fit grand bruit dans le Landerneau de Wall Street et du FMI.

("Why Free Capital Mobility May be Hazardous to Your Health: Lessons from the Latest Financial Crisis."

Bhagwati donne six arguments à sa thèse :

(1) les flux de capitaux jouent contre les fondamentaux de l’économie, car ces " fondamentaux " sont eux-mêmes le résultat de la spéculation. Il y a donc des rétroactions positives et pas du tout des stabilisation comme le prétendent les économistes du " laisser-faire " - à leur tête Milton Friedman- qui soutiennent que la déstabilisation induite par la spéculation se fait aux dépens des spéculateurs.

(2) Le revers de la médaille de la libre circulation des capitaux vient masquer le dessus de la médaille de libre circulation des biens : il sont un facteur d’appauvrissement sur les flux de denrées ne sont pas équilibrés. Ils ne peuvent avoir un effet bénéfique que si le marché est équilibré et " fair ". En outre, cela peut inciter les firmes à s’endetter en devises où à accepter n’importe quelle participation étrangère, ce qui est un accélérateur de crise.

(3) On connaît le coût de la mobilité des capitaux, mais on ne sait pas dire si le gain y est supérieur.

(4) Des pays comme la Chine et le Japon ont réussi leur croissance économique sans libre circulation des capitaux.

(5) Les politiques déflationnistes du FMI pour " restaurer la confiance des marchés " ont eu des effets désastreux sur les économies, alors qu’une relance keynésienne de la demande aurait pu rétablir les équilibres macro-économiques. Ces politiques sont dues au goût du FMI pour les " réformes structurelles ", préférées aux classiques politiques de relance. Voir tous les problèmes comme " structurels ", souligne Paul Krugman, renvoie la faute sur les pays en crise – comme par hasard les pays pauvres – et évite de trop parler de la crise financière purement conjoncturelle - comme par hasard venue du lobby financiaro-boursier de Wall Street ! .

(6) Le développement est surtout une affaire d’acquisition d’expertise macro-économique, beaucoup plus que de " transparence des marchés financiers " comme le prônent le FMI aux pays qui ne sont pas encore entrés dans le libre-échange des capitaux. Sortir de la logique de libre circulation est aussi risqué que de tenter de quitter la mafia !

Les théoriciens de la " mondialisation heureuse " qui prêchent la libre circulation des capitaux sont tout bonnement responsables de l’appauvrissement délibéré de millions de gens."

« De cette analyse, faut-il conclure qu'un libre-échange généralisé à l'échelle mondiale doive être considéré comme avantageux et souhaitable? La réponse ne peut être que négative. Tout d'abord, le modèle considéré repose sur une hypothèse essentielle, savoir que la structure des coûts comparatifs (c'est-à-dire des fonctions de production dans le langage des économistes) reste invariable au cours du temps. En fait, il n'en est ainsi en général que dans le cas des ressources naturelles. [...] En second lieu, le modèle que je viens de rappeler compare deux situations, une situation initiale d'autarcie générale et une situation finale de libre-échange généralisé. Elle ne tient aucun compte du passage de l'une à l'autre et des coûts de toutes sortes de la transition. Dans l'un et l'autre pays, des salariés qui disposaient d'une certaine qualification professionnelle ne peuvent retrouver un autre emploi exigeant une autre qualification professionnellle qu'après un délai qui peut être relativement long, à supposer même que l'acquisition d'une nouvelle qualification soit possible, et le plus souvent elle ne l'est pas. Les investissements industriels dans les secteurs défavorisés sont perdus et il faut une nouvelle épargne pour réaliser de nouveaux investissements. [...] En troisième lieu, et même lorsqu'il existe des avantages comparatifs de caractère permanent, il peut être tout à fait contre-indiqué de laisser s'établir les spécialisations qui seraient entraînées par une politique généralisée de libre-échange. Ainsi, dans le domaine de l'agriculture, le libre-échange n'aurait d'autre effet que de faire disparaître presque totalement l'agriculture de la Communauté européenne en raison des avantages comparatifs de caractère permanent détenus actuellement par des pays comme les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, l'Australie ou l'Argentine. Une telle disparition peut-être légitimement regardée comme non souhaitable du point de vue sociologique et politique, et elle est en tout cas de nature à compromettre la sécurité de la Communauté européenne en matière alimentaire. [...] Il en est de même encore pour un grand nombre de pays du Tiers Monde disposant d'un avantage relatif pour certaines matières premières ou pour certains produits tropicaux. Une spécialisation excessive ne peut que compromettre leur auto-suffisance alimentaire et leur développement industriel futur. En quatrième lieu, ce que montrent à la fois l'observation et l'analyse théorique, c'est que les avantages obtenus dans le commerce international résultent bien plus de l'amélioration des productivités sous la pression de la concurrence sur les marchés que de la réalisation des surplus correspondant à des avantages comparatifs. Ces derniers sont en général tout à fait surestimés. En cinquième lieu, l'analyse qui précède montre le rôle essentiel joué par les taux de change. Elle n'est justifiée que si les taux de change correspondent à l'équilibre des balances commerciales. [...] Discuter de la libéralisation des échanges dans le cadre du Gatt est dénué de tout sens dès lors que par exemple en raison d'une spéculation internationale démesurée le cours du dollar par rapport au deutschemark peut varier de 30%, voire de 100% en quelques années, dans un sens puis dans un sens contraire, comme cela a été le cas au cours de la période 1981-1992.[...]