Les enjeux stratégiques
Nous sommes entrés dans l'ère de l'économie digitale, où de nouvelles stratégies peuvent être conçues et de nouveaux avantages concurrentiels recherchés en fonction du génie propre des nations. Quelles en sont les conséquences pour notre société? D'abord une transformation de la structure du pouvoir telle que nous l'avons connue (rapport du Sénat "Des pyramides du pouvoir au réseau de savoir").
De toutes les capacités humaines de production, c'est la capacité à traiter l'information qui s'est développée le plus:
Si l'on prend pour indice 1 le niveau des capacités humaines en -2000, on assiste à un développement lent et assez groupé des quatre grandes capacités : de se déplacer, de transmettre de l'information, de détruire et de mobiliser l'énergie. C'est cette dernière qui vient largement en tête en 1820 en ayant été multipliée par 15. En 1990, la capacité de transmission de l'information a été multipliée par 10000 milliards, passe devant la capacité de destruction (multipliée par 10 milliards) et est 10000 fois plus développée que la capacité à mobiliser l'énergie. De 1190 à 1995, la capacité de transmission d'information a encore été multipliée par 10000 (Michel Beaud, "Le basculement du monde").
L'information devient ainsi le premier vecteur de transformation sociale et organisationnelle.
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La loi de Moore vérifiée:
La loi de Moore établit la progression de la puissance des microprocesseurs selon une relation inverse avec leur prix. La révolution technologique n'est donc pas terminée, et son terme n'est pas prévisible. Quel scénario envisager pour la mutation de la "vieille économie"?
EVERYTHING that can be invented has been invented. With these sweeping words, the Commissioner of the United States Office of Patents recommended in 1899 that his office be abolished, so spectacular had been the wave of innovation in the late 19th century. History is littered with such foolish predictions about technology.
The lesson is that any analysis of the economic consequences of the current burst of innovation in information technology (ITcomputers, software, telecoms and the Internet) should proceed with care. At one end, the Internets boosters have boldly proclaimed it as the greatest invention since the wheel, transforming the world so radically that the old economics textbooks need ripping up. At the other extreme, sceptics say that computers and the Internet are not remotely as important as steam power, the telegraph or electricity. In their view, IT stands for insignificant toys, and when the technology bubble bursts, its economic benefit will turn out to be no greater than that of the 17th-century tulip bubble. (...) (The Economist) |


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La société de l'information
Nicolas CURIEN, Pierre-Alain MUET
. Conseil d'analyse économique
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" On peut assimiler cette croissance des performances à un phénomène naturel : il s'agit de mettre en exploitation, de façon progressive, les possibilités que recèle le silicium. Lorsqu'elle s'arrêtera en 2017, nous devrions disposer de processeurs et de mémoires 216/1,5 ~ 1500 fois plus puissants qu'aujourd'hui. L'informatique et les systèmes d'information seront donc qualitativement différents. Aurons-nous répondu aux questions que pose la bonne utilisation de ces ressources ? Sans doute que non car comme elles relèvent de l'organisation elles concernent tout le monde et ne peuvent se régler aussi vite que les questions techniques que traitent des ingénieurs "pointus". (Michel Volle)
Une fois passé le techno-lyrisme des années de bulles, on commence à voir les choses de manière plus pondérée: les arbres ne montent pas jusqu'au ciel et la supposée "nouvelle économie" n'est pas affrranchie des lois classiques de la gravité. Comme dans les révolutions industrielles précédentes, on entre dans une ère post-technologique où les leviers de l'innovation sont principalement organisationnels et immatériels. C'est l'objet du programme de recherche MINE. Je fais le point sur ces questions dans "Productivité, oui; profitabilité, pas encore: la révolution technologique reste devant nous"
- The Economist consacre un dossier qui fait le point "Paradise lost"
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Après la loi de Moore?
En 2017 les microprocesseurs rencontreront la limite physique de l'atome. Il faudra donc passer à la dimension subatomique, celle de l'ordinateur quantique qui fait l'objet de programmes de recherche intenses et offre de nouvelles possibilités de performance.
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L'investissement technologique et la croissance
Précisons-le tout de suite "les ordinateurs ne créent pas de richesse". Ce sont les thèses défendues avec conviction par Paul Strassmann. De gros investissements dans l'informatique ne peuvent compenser un management trop pauvre. Son dernier livre "The squandered computer" détaille avec précision cette argumentation.
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L'investissement dans la technologie - et notamment l'informatique - est une condition nécessaire mais pas suffisante de l'innovation et de la croissance.
En 1956, Robert Solow met en relief les deux sources de la croissance : d'une part l'augmentation de la dotation de facteurs de production (soit le capital physique et le capital humain), d'autre part la productivité totale des facteurs de production. Si l'on implante un tracteur dans une économie agricole, on obtient une augmentation de rendement très importante, alors que l'implantation du 12° tracteur apportera une augmentation marginale moins importante. Il en est de même si l'on augmente le niveau d'instruction d'une population : le fait de donner à tout le monde un enseignement secondaire de qualité va augmenter considérablement la dotation de facteurs, mais on atteindra là un plafonnement, car tout le monde ne va pas devenir docteur ès-sciences. Ce qui va permettre à la croissance d'être durable, c'est la capacité à innover à partir de cette dotation de facteurs. L'investissement en capital pose autant de problèmes qu'il n'en résoud : c'est donc un domaine pour l'innovation, où les acteurs vont apprendre en observant les dysfonctionnements des process et les insatisfaction des clients. C'est de là que naît le progrès technologique, pas directement de l'investissement en capital. La productivité totale des facteurs, dans un contexte de croissance endogène, compte pour 80% de la croissance!
Robert Solow observa en 1987 "Nous voyons des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité". Les investissements informatiques, encore aujourd'hui, sont gérés comme des accroissements de dotations de facteurs, non comme des investissements de productivité. Pour qu'il y ait développement durable de la productivité, il faut que puisse se mettre en place des processus d'apprentissage, d'innovation et de transformation organisationnelle, qui créent le progrès technique, progrès qui va à son tour interagir sur l'investissement dans la technologie. Sans cette deuxième étape, on reste dans une logique soviétique où l'on investit massivement dans l'accroissement de la dotation de facteurs, mais faute de liberté et de droit à l'initiative, la productivité stagne et donc à terme l'investissement.
" Les grandes ruptures technologiques elles-mêmes viennent se greffer sur le capital des connaissances acquises et s'inscrivent dans la continuité des expériences techniques. Le changement technique reste soumis à une logique d'apprentissage"
- Quelle est la contribution de l'informatique au développement de la productivité? A court terme, la productivité des investissements informatiques est égale à leur coût, en substituant du capital au travail. Elle est même légérement si l'on tient compte de l'effet qualité lié à la baisse des coûts de l'informatique et à l'augmentation des performance (on utilise alors la méthode des prix hédoniques qui rapporte les prix à la valeur d'usage de l'informatique). La productivité doit surtout se mesurer à long terme (3 à 7 ans) par les changements organisationnels induits par l'informatiques, réingéniérie des processus, évolution des business models (The role of the business model in capturing value from innovation) .
- Ce papier du MIT "Computer productivity: firm level evidence" fait le point.
Le retard de l'Europe sur les Etats-Unis
- Au sommet de Lisbonne (2000), l'Union européenne se promettait de construire "l'économie la plus performante du monde". La réalité se charge de rappeler que la construction de Babels bureaucratiques ne suffit pas à comprendre la dynamique vivante des systèmes technologiques. Les résultats sont là: le retard entre l'Europe et les Etats-Unis ne cesse de s'accroître:
Le rôle essentiel de la qualité des institutions publiques
- Joël Mokyr définit sans ambiguité la technologie comme de la connaissance ("Technology is Knowledge"), qui s'inscrit dans le dynamisme culturel d'une nation, comme l'a bien montré David Landes: c'est le dynamisme de la culture qui fait qu'en définitive, une nation saura, ou non, développer une technologie et en capter les fruits. Les travaux de Bruno Amable, du CEPREMAP, montrent la diversité des systèmes nationaux d'innovation et la non-pertinence de vouloir définir un modèle unique qui serait plus performant (en l'occurrence le modèle marchand anglo-saxon). Chaque nation évolue dans sa dépendance de sentier. L'Europe est un patchwork de SNI (plus largement de SSIP - systèmes sociaux d'innovation et de production - dont Amable définit les caractéristiques) qu'il est vain de vouloir fondre en un seul au nom des principes du centralisme bureaucratique chers à Bruxelles. C'est donc la qualité des institutions et leur capacités à jouer de ces complémentarités qui permet de créer de la valeur à partir de la technologie.
Le retour du temps long et des cycles technologiques:
- Le paradoxe de Solow peut être considéré aujourd'hui comme dépassé par le développement d'Internet. Par contre, on ne peut pas dire que ces investissements soient profitables: les profits vont principalement aux utilisateurs et le phénomène est idéntiques aux précédentes révolutions technologiques. Je fais le point sur ce sujet dans mon rapport pour le Cigref "La révolution technologique est devant nous".
Sur la relation entre la productivité et la technologie
- The New Economy: Beyond the Hype - Presented to OECD Ministers following a two-year project on growth: it analyses the causes underlying differences in growth performance in OECD countries and identifies factors, institutions and policies that can enhance long-term growth performance.
- You Say You Want A Revolution: Information Technology and Growth , FMI, avril 2002
- Le site de l'OCDE, sciences et technologie
- Paul Strassmann: "les ordinateurs ne créent pas de richesse"
- Information technology and productivity: a review of litterature
- L'économie fondée sur le savoir (OCDE, 96) .pdf
- Toward a knowledge based economy (OCDE)
- New Science and Technology Indicators for the Knowledge-Based Economy
- Use of information technology at work
- Comment mesurer la rentabilité en investissements immatériels? Liste des travaux de l'OCDE
- Decomposition of productivity and unit costs (FED)
- Technologie et économie : Examen de certaines relations critiques, par Michael Gibbons, Université du Sussex
- Raising the Speed Limit: US Economic Growth in the Information Age”, by Dale Jorgenson and Kevin Stiroh, May 2000
- Does the New Economy Measure up to the Great Inventions of the Past?, by Robert Gordon, May 2000.
- Knowledge, Technology and Economic Growth: Recent Evidence from OECDCountries”, by Andrea Bassanini, Stefano Scarpetta and Ignazio Visco, OECD, May 2000.
- “The Contribution of Information and Communication Technology to Output Growth: A Study of the G7 Countries”, by Paul Schreyer, OECD STI working paper 2000/2.
- “The Solow Productivity Paradox: What do Computers do to Productivity?”, by Jack Triplett, Brookings Institution, 1998.
- “Computing Productivity: Firm-Level Evidence”, by Erik Brynjolfsson and Lorin Hitt, April 2000.
- “Beyond Computation: Information Technology, Organizational Transformation and Business Performance, by Erik Brynjolfsson and Lorin Hitt, 2000.
- Intangible Assets: How the Interaction of Computers and Organizational Structure Affects Stock Market Valuations”, by Erik Brynjolfsson, Lorin Hitt and Shinkyu Yang.
- “Early Twentieth Century Productivity Growth Dynamics: An Inquiry into the Economic History of Our Ignorance”, by Paul David and Gavin Wright, University of Oxford Discussion Papers in Economic and Social History, No.33, 1999.
- “Increasing Returns and Long-Run Growth”, by Paul Romer, Journal of Political Economy, 1986, vol.94, No 5.
Développement du capital cognitif:
Tous les rapports des analystes sur Line56
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