Téléchargez en PDF

Le livre de Claude Rochet, LĠinnovation est une affaire dĠEtat, gagnants et perdants de la rŽvolution industrielle, Žditions lĠHarmattan, est une bouffŽe dĠair.

Sur le fond parce quĠil tranche sur le discours dŽsespŽrŽ sur lĠEtat et son cožt. Sur la forme car une plume libre sĠy allie avec la plus grande rigueur de pensŽe. Il dŽveloppe une thse selon laquelle lĠEtat nĠest pas un poids mort quĠil sĠagirait de rendre plus efficient, ce qui revient ˆ le rŽduire ˆ des thses mercantilistes selon lesquelles moins son intervention sur le marchŽ existe, plus la main invisible de ce dernier peut autorŽguler le progrs et la richesse.

Lorsque lĠon analyse une innovation technologique rŽussie dans sa diffusion sociale (et C.Rochet en analyse de nombreuses), sa condition de rŽussie rŽside dans sa synergie avec lĠEtat. Non pas un Etat Ç rŽgalien È mais un Etat qui joue de tous ses atouts : sa capacitŽ de dŽvelopper la recherche, son pouvoir de rŽgulation des intŽrts Žconomiques, de protection des entreprises innovantes, mais aussi une fonction Ç hŽgŽmonique È au sens plus large de diffusion des innovations et des idŽes, ˆ travers les universitŽs, lĠŽcole, lĠappropriation au quotidien. LĠŽchec dĠInternet ˆ ses dŽbuts peut tre attribuŽ ˆ des projections trop optimistes, faisant fi de la sociologie des consommateurs et des mŽcanismes dĠapprentissage de la nouveautŽ. Ç Les travaux de Masahiko Aoki(2001) et Douglass North (2005) font appara”tre que les institutions sont des codifications de systmes de croyance. Il Ç sĠagit donc de comprendre comment lĠesprit travaille et comprend son environnement È (North, 2005) pour aboutir ˆ la mise en place dĠinstituions È. È (page 22).

Contrairement ˆ certaines thŽories du nouveau management public, C.Rochet ne pense pas que la rŽforme de lĠEtat consiste dans la modernisation de son appareil, qui est certes nŽcessaire mais non suffisante. Ç LĠEtat administratif nĠest marquŽ dĠaucune fatalitŽ qui le rendrait lourd ou obsolte È(page 14). Elle passe dĠabord par la rŽaffirmation de son r™le, domaine o ˆ travers les partis, peu osent encore dire quelles sont ses missions.

La conduite du changement qui aujourdĠhui suscite tant de scepticisme (les rŽformes ŽchouŽes, les syndicats, le conservatisme des intŽrts particuliersÉ) ne le troublent pas : la solution serait une alliance dĠun leadership politique et dĠun leadership administratif, qui a pu se rencontrer dans certains pays anglo-saxons (Australie, USA, Royaume-Uni) et latins (Italie) mais pas en France. C.Rochet tente dĠexplorer la difficile question du changement de paradigme, qui est la base du changement (par exemple le passage dĠun modle de production taylorien encore propre au NPM, new public management) ˆ un modle systŽmique dĠapprentissage et de mise en relation des actions publiques (Žconomiques, financires, lŽgales..).

Cette question est dĠautant plus importante que C.Rochet trace, ˆ travers les enqutes quĠil a menŽes, un tableau paradoxal de lĠEtat

franais, celui dĠune innovation soutenue gr‰ce ˆ la qualitŽ de son capital humain, mais sans capitalisation et diffusion des savoirs et savoirs faire. Il en prend pour exemple la LOLF qui Ç nĠa pas ŽtŽ ˆ ce jour gŽrŽe comme une opportunitŽ pour de nouvelles rgles du jeu et nĠest pas pensŽe comme un changement de paradigme. È (page 378).

Le changement suppose un nouveau systme technologique, un ensemble de pratiques qui permettent la diffusion de ces technologies, qui amnent ˆ lĠavnement dĠun nouveau sens commun. LĠexemple pris est celui de la diffŽrence entre la France et le Royaume-Uni, la France depuis le 17me sicle Žtant largement en avance sur les inventions, et les Anglais peu performants mais par contre capables de les adapter ˆ des utilisations pratiques et ˆ en tirer un profit rapidement (par exemple le rail pour le transport de denrŽes et marchandises lourdes).

Toutefois si lĠon pousse la rŽflexion de Claude Rochet plus loin, on y sent le besoin de revaloriser la pensŽe comme moteur de la cohŽsion sociale : peut-on agir et changer sans concepts, dŽbats, et penseurs ? Cette question pourrait para”tre radicalement inopportune aprs toutes les sirnes sur la Ç fin des idŽologies È mais elle mŽrite dĠtre posŽe. Une des critiques du NPM peut rŽsider dans le fait que, sĠil a revalorisŽ le pragmatisme, le changement par essais-erreurs, en revanche il sĠest peu appuyŽ sur une rŽflexion thŽorique lui donnant un cadre de rŽfŽrence. Ç Il sĠagit en fin de compte de tenter de rŽpondre ˆ la question : de quels outils de pensŽe avons-nous besoin pour comprendre la rŽalitŽ et prendre des dŽcisions ? È (page 24). Ç Ainsi cĠest au moment o lĠEtat cožte le plus cher quĠil devient impossible de le rŽformer, faute de pouvoir dŽfinir son r™le. Le dŽbat public semble bloquŽ : dĠun c™tŽ les ultras du libŽralisme entendent dŽmontrer la nŽcessitŽ de faire, enfin, dispara”tre lĠEtat. De lĠautre, les intŽrts Žtablis du systme protŽgŽ garanti par lĠEtat dŽfendent le status quo au nom de la dŽfense du service public È (page 51)

Sylvie Trosa Revue Française d’Administration Publique http://www.ena.fr/index.php?page=ressources/rfap

PDF