Non à l’ordre moral !
Le Conseil d’Etat a certes raison sur le plan du droit dans ses arrêts annulant l’autorisation donnée aux infirmières de distribuer de la "pilule du lendemain" aux lycéennes et le visa d’exploitation d’un film répondant à tous les critères légaux de la pornographie : il n’en a pas moins tort politiquement pour les tenants du nouvel ordre moral. Que doit dire la Loi selon eux ? "suivre l’évolution de la société".
L’apparition de l’électricité avait permis d’allonger la journée de travail, le développement du machinisme d’augmenter les cadences. Des législateurs archaïques s’étaient alors avisés de contrecarrer cette évolution naturelle liée au développement du capitalisme en limitant la journée de travail par une cascade de lois sociales dont le premier gouvernement de la Libération scellera l’édifice. La Loi, dans la tradition républicaine, s’était donnée pour mission de créer un état de droit protégeant le plus faible face à la loi du plus fort qu'est l’état de nature. Elle s’efforçait de traduire dans le droit positif des impératifs d’ordre moraux auxquels les plus forts opposaient un " ordre naturel des choses ".
Chaque nouvelle vague d'innovation crée un nouveau champ du possible dont l'homme peut faire le meilleur et le pire. Le XX° a donné la priorité au pire : le développement du machinisme ouvrit la route aux marchands de canons et à la guerre de 1914. Le développement des sciences, de la philosophie et de l'épistémologie généra la croyance que l'on pouvait entreprendre une vaste réingéniérie du genre humain pour le rendre parfait, et les totalitarismes nous proposèrent de marcher vers les lendemains qui chantent de l'homme nouveau. Les nouvelles percées en matière de biotechnologie nous donnent la possibilité d'entrer au cœur même de la fabrication du vivant et les technologies de l'information de régenter la manière dont l'homme traite l'information et construit sa représentation du monde avec une sophistication dépassant les rêves les plus fous des propagandistes du milieu du siècle. Orwell n'avait en définitive que seize ans d'avance.
Le recours à la morale est incontournable pour qu'une société délibère sur les normes du bien et du mal qu'elle entend adopter et les limites aux possibles qu'elle décide de codifier par la Loi. Pascal nous avait appris à distinguer l'ordre de la morale et l'ordre de la loi. La morale recommande, est affaire de discernement et de risque, la loi fixe les limites et pose des interdits. Il y a ordre moral quand les deux se confondent, quand la morale devient une loi qui oblige, exclut le jugement et la délibération personnelle. Il n'y a alors nulle vertu à être moral : le moralisme n'est que soumission à l'ordre établi et la loi, de protection, devient tyrannie.
Les lois Neuwirth et Weill, en autorisant la contraception et en dépénalisant l'avortement, ont ouvert de nouveaux champs de liberté permettant d'envisager de dissocier la sexualité de la procréation. Nos professeurs de philosophie nous ont appris que tout exercice de la liberté, depuis Socrate, commençait par le pouvoir de dire non, sans lequel il ne pouvait y avoir de oui. Tel n'est pas le propos du modernisme : une jeune fille de 16 ans qui refusera de satisfaire aux avances d'un garçon se verra taxée immédiatement de "non libérée", de "ringarde" et de "réac". "Baise-moi" est la seule réponse admise par des gardes rouges de la révolution culculturelle, au centre des mantras que récitent inlassablement les fuck-radios et les organes de l'ordre moral.
Dès lors les politiques publiques n'ont plus qu'à suivre : "l'adaptation" est devenue le maître mot. Il n'y a plus à penser l'avenir, il n'y a qu'à suivre. Puisqu'il n'est plus question d'apprendre aux filles à dire non pour pouvoir dire oui, il ne reste plus qu'à réparer les dégâts. Le lynchage médiatique de l'Abbé Pierre avait commencé lorsqu'il avait déclaré que la fidélité était le seul remède radical au SIDA. Il s'était élevé contre la nouvelle religion d'État: le nihilisme.. Tout "vouloir quelque chose" est remplacé par "vouloir le rien". Il est "interdit d'interdire" : la vie, pour les gardes rouges, n'est que la jouissance éperdue de l'instant. Tout projet supposant réflexion et contraintes est abomination.
Dans ce monde, la pensée n'a plus sa place. Les gardes rouges modernisent l'enseignement en inscrivant à l'ordre du jour le lynchage des professeurs de philosophie. Les disciplines doivent disparaître au profit d'une école "lieu de vie": Jean-Gabriel Cohn-Bendit est devenu la référence en matière d'innovation au ministère de l'éducation, dont le ministre instaure un contrôle qualité sur l'extasy distribuée à l'entrée des "rave-party".
Ce monde est régi par l'unanimisme. Qui s'opposerait ? Toute nouvelle "modernisation de la vie publique" est avancée accompagnée d'un attrape-nigaud qui fournit à qui le saisit un costume qui le rend ridicule. L'évolution des moeurs est devenue le godemiché de la pensée politique. On trouve toujours un nigaud pour attraper l'attrape-nigaud et quelque association d'extrême-droite pour se prêter à la manoeuvre. Le système marche à merveille.
Ce monde est celui de "baise moi" : nul obstacle ne doit se dresser dans la marche vers la barbarie et le déchaînement des instincts.
Ce monde est immonde, et demain le sera plus encore.

Claude ROCHET
Essayiste

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