Paru dans " L'Usine Nouvelle " du 5 septembre 2002

 

"Gouvernancer" ou gouverner ?

 

 

Les scandales à répétition dans les secteurs autrefois dévolus au service public (eau, téléphone, électricité) font le succès du thème de la "gouvernance". S'il s'agit de garantir une gestion plus transparente et responsable, qui peut s'en plaindre ? Mais l'engouement pour cette notion n'est pas sans arrière-pensées et peut provoquer des dérives. Un présupposé est qu'avec la mondialisation la libre circulation des capitaux ne peut pleinement se réaliser que s'ils retrouvent dans chaque pays des règles identiques. C'est le sens de la codification des règles de gouvernance par l'OCDE en 1998.

Tant mieux si cela permet de mettre un terme à des pratiques douteuses. Mais est-ce une manière d'imposer, au travers d'une nouvelle langue de bois, la règle des 15% de rendement quels que soient l'entreprise, le secteur ou de pays ? On connaît les résultats : licenciements " boursiers ", délocalisations, externalisations imprudentes d'activités uniquement sur des critères financiers à court terme au nom du recentrage sur le  "core business" à l'heure où, du fait des mutations technologiques, l'avantage concurrentiel, et donc ce "core business", évolue rapidement et réside avant tout dans le capital humain et intellectuel des firmes.

 

Le problème est encore plus aigu lorsque l'on applique ces concepts au secteur public. Le présupposé est ici que les services publics ne sont que des infrastructures, des frais généraux dont les contribuables se partagent le coût. C'est une erreur car les services publics sont constitutifs de l'avantage concurrentiel des nations. Ils ne sont pas rentables en eux-mêmes, mais par les " externalités " (les effets dérivés) qu'ils produisent : fiabilité des transports et des communications, niveau d'éducation, qualité du système de santé expliquent une croissance désormais beaucoup plus fondée sur la productivité des facteurs de production que sur l'accumulation de ces facteurs.

 

Avec la fin de la folie de l'économie virtuelle, on ne peut que redécouvrir que la compétitivité en période de forte innovation repose sur le dynamisme des systèmes nationaux dont la principale composante est, au delà des performances de la recherche, la culture nationale, la qualité des externalités, la capacité à parvenir à renforcer la cohésion sociale. Adam Smith ne disait pas autre chose (à qui veut bien le lire !) : la véritable " main invisible " est celle qui guide l'homme dans sa recherche de l'harmonie sociale et il n'y a pas d'économie de marché qui ne repose sur une société juste.

 

Au delà de la "bonne gouvernance", la mission des dirigeants n'est pas de gérer en appliquant des règles supposées universelles, mais de comprendre le monde, d'élaborer des stratégies et de faire des choix, avec les risques et responsabilités que cela implique.

 

Cela porte un nom simple pour une tâche ardue : gouverner.

 

Claude rochet, professeur associé à l'Université Paris-Nord, auteur de "Gouverner par le bien commun" Editions François-Xavier de Guibert (2 001)et de "Conduire l'action publique, des objectifs aux résultats" (Editions Village mondial, 2003)